Séance de Kiyoshi Kurosawa - 2000
Kiyoshi Kurosawa, l'inventeur, ou en tout cas le "vulgarisateur" du cinéma d'horreur bressonien et freudien, revient en grande forme avec ce Séance de toute beauté. Comme d'habitude, ça ne lui suffit pas de nous glacer le sang avec ses effets à deux à l'heure tous plus inspirés les uns que les autres : il faut aussi qu'il nous ponde un objet intelligent et profond. Et ça fait du bien de voir qu'il reste quelques réalisateurs de genre qui ont des choses à raconter.
Après une introduction assez théorique sur un concept jungien intéressant (les êtres humains auraient la faculté, dans certains cas, de rendre concrets des frustrations ou des refoulements psychologiques, sous la forme de "Doppelgänger", bon de fantômes, quoi (c'était déjà le thème de The Brood de Cronenberg)), KK passe à la pratique avec une histoire abracadabrantesque dont il a le secret. Une petite fille poursuivie par un pédophile se cache dans la malle d'un preneur de son en plein travail dans une forêt (ça serait un hommage à Blow out que ça m'étonnerait pas). Le gars en question est marié avec
une medium, qui imagine un scénario improbable pour prouver à la police (qui recherche la petite) que ses dons lui ont permis de la retrouver. Mais là, drame, la petite meurt, et du coup, le couple est dépassé par sa responsabilité. Leurs tourments prendront la forme de différentes apparitions horrifiques (fillette pleine de boue, double du héros, spectres divers et variés)... Oui, je me rends compte que je viens de faire un résumé à la Shang, normal que vous ne compreniez rien, cherchez pas.
L'important, c'est que le bagage psycho de Kurosawa trouve ici un très bel exemple : les différentes visions des héros ne sont que des projections de leurs angoisses métaphysiques (l'enfer existe-t-il ?) ou domestiques (ces deux-là ne supportent plus le morne quotidien qu'est devenu leur amour). Kurosawa fait entrer avec la tranquillité la plus totale l'horreur dans les choses les plus banales : un restaurant, un étendoir à linge (!), une malle... La mise en scène, qui ne recherche jamais le vain sursaut du spectateur, aligne à une vitesse extrêmement lente des effets parfaits de maîtrise. Il suffit
qu'il recadre légèrement sur une fenêtre, sur un miroir, pour qu'on ait peur, même s'il ne se passe absolument rien. Les fantômes rentrent dans le cadre de façon presque logique : pas d'apparitions brusques ici, les spectres entrent dans le champ comme les vivants, naturellement. Et puis encore une fois chez Kurosawa, le travail sur le son est impressionnant, un mélange de voix "gothiques" (qui rattachent définitivement Séance au cinéma de fantômes typiquement asiatique) et de bruits du quotidien (vent, tonnerre, eau, feu). L'apparition iconoclaste d'une musique de cornemuses sur une des scènes les plus éprouvantes du film finit de convaincre qu'on est en face d'un grand expérimentateur.
Alors, certes, le film est peut-être un peu trop riche dans ses arcanes thématiques, KK veut peut-être dire trop de choses en un seul film, et quelques idées sont en trop (des voix bizarres qui se font entendre sur un
enregistrement de vent, une intrigue policière pas forcément utile et d'ailleurs bâclée par le scénario). Mais Séance est tout de même un des meilleurs films du grand Kurosawa, et un exemple à suivre pour tous les petits malins qui croient encore qu'il faut faire bondir le spectateur dans son fauteuil pour faire un grand film d'horreur.