L'Oreille (Ucho) (1970) de Karel Kachyna
Kachyna, autre tchèque de cette nouvelle vague de l'Est, attaque lui en frontal l'univers d'un régime totalitaire - film qui fut bien entendu interdit dans cette époque pas si lontaine. Mélange de Qui a peur de Virginia Woolf? (le couple s'engueule du début à la fin) et de Big Brother is hearing you (leur maison est truffée de micro), la tension est palpable du début à la fin de ce film: l'ère de la paranoïa est en marche.
Un couple formé d'un secrétaire d'un ministre et de sa femme méchamment avinée rentre chez lui après une fête bien arrosée en présence du président et de membres du parti. Plusieurs incidents semblent s'être passés pendant leur absence, portes laissées étrangement ouvertes, électricité coupée, sans parler de cette voiture en stationnement à quelques pas de leur maison. Ludvik, se remémorant les discussions de la soirée et les purges décidées (son ministre en particulier a sauté), rentre très rapidement dans une ère du soupçon : il brûle tous les papiers et divers dossiers pouvant le compromettre, s'attendant à tout moment à voir débarquer chez lui ces hommes qui rôdent dans son jardin. La pénombre du lieu rajoute à l'angoisse et les constantes remontrances de sa femme (ils devraient célébrer leur dix ans de mariage) ne détendent en rien l'atmosphère. Kachyna entremêle son récit de flash-back se passant durant cette fête filmée en partie en caméra subjective, et dont l'ambiance presque surréaliste (musique stressante, débauche de gens ivres, filles faciles qui défilent dans un rire...) tranche avec la réalité de l'instant -même le téléphone a été coupé- et la prise de conscience d'un danger immédiat : toutes les petites phrases font soudainement sens ("Pourquoi Machine voulait-elle savoir si notre maison était froide en hiver?") et plutôt que de faire corps ensemble, les deux partenaires déversent l'un sur l'autre leur agressivité, comme des bêtes sauvages affolées. La visite d'une bande de potes du gouvernement complètement pétés n'arrange rien - peut-être sont-ils venus finir le travail et placer d'autres micros -, et toutes les pires suspicions sur son avenir peuvent se lire dans le regard de Ludvik qui commencent à entrevoir sa possible arrestation... Même si la fin pourrait apporter une sorte de soulagement, l'ultime image arrêtée sur nos deux personnages face caméra, nous fait prendre conscience à quel point ce règne de la peur ne fait jamais que réellement commencer pour eux. Brrrrrrrrrrrrrr.....
Grâce à un montage particulièrement efficace - on suit notre couple pratiquement en temps réel durant cette longue nuit -, grâce à une dynamique évidente - les tensions internes dans le couple ne faisant que refléter les tensions invisibles de cet "ennemi" qui écoute sans se montrer - , Kachyna signe un film brut, sans concession -son scénariste était membre du parti-, un témoignage d'autant plus éprouvant du système totalitaire qu'il fut tourné alors même que l'armée soviétique était dans les rues. Bon, je vais faire un tour aux toilettes pour voir ce qui coince la chasse d'eau.