Cinq Pièces Faciles (Five Easy Pieces) de Bob Rafelson - 1970
Nous voici dans l'esthétique hyper-repérable des films ricains des années 70, celle des Schrader, des Forman, des Frankenheimer, tous bons artisans et témoins d'une époque. Couleurs en demi-teinte, sentiments et psychologies dans la même veine, petite musique charmante des tourments d'une Amérique qui part en sucette au temps du Viet-Nâm, de la fin du rêve et de l'économie galopante.
Nicholson, dans un de ses premiers rôles marquants, pulvérise tout, et c'est peu de dire qu'il réinvente le terme de photogénie. Profondément émouvant, troublant, capable de roter bruyamment lors d'un repas boubourge, puis de jouer du Chopin avant de s'enfiler une bière avec une fausse blonde insupportable, il illumine le film, relativement sobrement, en tout cas très intelligemment. On ne l'attendait pourtant pas forcément dans le rôle de ce pianiste classique frustré, qui a décidé de lâcher un avenir prometteur mais sclérosant pour écumer les bars, travailler sur les chantiers et draguer des pouffiasses (très touchante Karen Black, d'ailleurs, en passant). Qu'il engueule une serveuse de restaurant (le sommet de son jeu) ou qu'il affronte enfin son passé peu reluisant en parlant à son père mourrant, il est toujours parfait, et Five Easy Pieces est réussi d'abord grâce à lui.
Mais il est réussi aussi grâce à l'attention émouvante de Rafelson pour ses personnages, à ces jolis portraits fouillés et profonds, à cette psychologie crédible sans être solennelle, à cette façon discrète de raconter une histoire par le biais de petites idées modestes (le dernier plan, qui voit Jack s'éloigner dans un camion alors que Karen l'attend dans sa voiture, en dit beaucoup plus que bien des mots). Alors certes, ça a un peu vieilli, mais ne boudons pas ce plaisir purement cinéphilique et tranquillement poignant. Toute une époque.