Les Feux du Music-Hall (Luci del varietà) de Federico Fellini - 1950
Pour son premier film, le maestro signe déjà un magnifique portrait poétique et drôle, dans lequel il place d'entrée toutes les figures qui feront son grand cinéma. Il y a de la Dolce Vita dans sa description ironique du monde de la jet-set oisive, il y a de La Strada dans cette petite troupe de spectacle ringarde qui s'en sort avec des petits traffics, il y a des Vitelloni dans ces caractères qui transforme chaque verre d'eau en tempête dantesque, il y a des Clowns dans la tristesse douce-amère du sujet...
Le scénario de Luci del varietà est très mal foutu, avec des ellipses maladroites qui laissent pleins de trous inexpliqués dans la trame. On ne comprend pas grand-chose aux ascensions et décadences de ces artistes, ni aux caractères des personnages. Mais on s'en tamponne, puisque le film est une merveille de mise en scène, pleine de vie, de bruits, de personnages hauts en couleurs (les fameuses trognes y sont déjà, et en plein), où chaque scène est pensée pour "faire spectacle", où chaque émotion est poussée jusqu'à son paroxysme. La longue promenade dans la nuit de la petite troupe de music-hall bruyante et fêtarde est magnifique de nostalgie, un défilé où la marque de Nino Rota est déjà prégnante (même s'il n'est pas encore là) ; le visage de la Giulietta Massina, trahie par son amoureux, exprime toutes les gammes de l'émotion ; les longs plans sur certains personnages (une guitariste brésilienne, un petit vieux qui traîne une oie dans un panier) accusent l'amour de Fellini pour les gens ; les scènes de spectacle, avec ces incessants va-et-vient sur le public italianissime, avec ce montage au taquet qui donne une énergie débordante à l'ensemble, rappellent les grandes heures de Ginger et Fred ; le personnage principal, sorte de double du Michel Simon de La Chienne, mais en désargenté, est sublime, un grand caractère, fouillé, burlesque, ridicule, touchant.
Fellini mène sa barque, encore modeste, avec une sûreté dans le cadrage qui étonne déjà : lui seul sait remplir son écran comme ça, avec une attention maniaque sur chaque détail, avec un semblant de désordre total au sein d'une grande maîtrise formelle. On sent l'amour dans ce film, tout simplement, un amour des petites choses, malheurs de la vie aussi bien que minuscules bonheurs, amour des grandeurs et décadences de ses personnages, amour de l'existence dans ses ridicules et ses dignités. Luci del varietà, c'est du bonheur brut, c'est tendre comme tout et en même temps trivial et vulgaire, c'est subtil et "hénaurme" dans la même seconde, c'est le plus grand cinéaste en train de naître.