La Ballade du Soldat (Ballada o soldate) (1959) de Grigori Chukhrai
Encore un miracle du cinéma russe : une histoire simple comme bonjour - un jeune homme et une jeune femme qui se regardent plus qu'il ne parlent - sur fond de deuxième guerre mondiale. Aussi puissant et touchant que Quand passent les Cigognes, bref, un pur moment de bonheur.
Le jeune Alyosha se retrouve seul sur le front, pourchassé par 4 tanks allemands - on a droit à ce plan de ouf, où la caméra pivotante termine sur un plan à l'envers, Alyosha perdant pied devant le danger. Mais, dans un geste de désespoir, il se ressaisit, trouve un genre de grosse mitraillette (po fait mon service, désolé) et stoppe deux tanks dans leur course. Accueilli comme un héros par le général, plutôt qu'une décoration, il demande d'avoir le droit de retourner dans son village natal pour voir sa mère - le toit de sa maison fuit, c'est tout ce qu'il a retenu de sa lettre. En route, dans un wagon chargé de foin, il rencontre Shura, jeune fille montée clandestinement dans ce même train; celle-ci est toute apeurée au début, mais peu à peu retrouve confiance en présence de ce bien gentil garçon. Que dire sinon que Shura, Zhanna Prokhorenko, belle comme l'aurore, illumine la pellicule. Leur flirt en toute innocence est limpide comme de l'eau de roche du début à la fin. Qu'ils se cachent ensemble et savourent pendant quelques secondes suspendues une certaine intimité physique, qu'elle lui mente en lui disant qu'elle va rejoindre un soldat blessé, qu'il la défende face à un soldat qui fait du zèle, qu'il la perde en allant chercher de l'eau, qu'il la retrouve sur le pont d'une gare, qu'ils partent ensemble apporter deux bouts de savon à la femme d'un soldat qui trompe son mari, la tristesse se lisant sur leurs deux visages, qu'il la dissimule dans son manteau pour qu'elle prenne le train militaire, qu'ils se retrouvent face à face entre deux wagons se parlant avec les yeux dans un bruit infernal, que ses cheveux - à elle - flottant au vent caressent son visage - à lui -, qu'ils se séparent sur un quai, genre Les Parapluies de Cherbourg en aussi vibrant,... toutes ces séquences s'imposent par leur évidence, par leur simplicité, comme un début d'histoire d'amour.
Pas même un baiser, juste deux visages qui finissent par prononcer des mots d'amour alors que le train ne cesse d'augmenter la distance entre eux. Tout le reste est au final purement anecdotique. Ouais il sauvera des enfants lorsque le train est bombardé, ouais il retrouvera sa mère pour quelques minutes avant de repartir au front (la course de celle-ci dans les champs est limite pub de Chabat pour Pal, un peu too much certes), ouais on sait depuis le début de l'histoire qu'Alyosha ne reviendra jamais de cette guerre, mort dans une ville étrangère, mais la voix-off a beau conclure qu'il s'agit de l'histoire d'un simple soldat, on sait parfaitement que l'on vient d'assister à un pure moment de grâce entre deux individus.
Il faut du génie pour parvenir à trouver un ton aussi juste, la caméra malgré quelques morceaux de bravoure "à la russe" finissant par se faire complétement oublier. Chukhrai, que je ne connaissais dois-je avouer ni d'Eve ni d'Adam, réalise le film parfait, d'une fraîcheur, d'une limpidité et d'une jeunesse rarissime. Bon, va encore falloir que je fouille les bacs pour tomber inopément sur d'autres réalisations du gars.