Selon Charlie de Nicole Garcia - 2006
Devant la profusion de personnages qui constituent la trame de Selon Charlie, on est en droit de demeurer perplexe. Cherchant du côté du film choral à la Altman, Garcia tente, en 1h50 de parler : d'un maire ringard et amoureux ; d'un petit truand looser ; d'un mari volage pris dans les difficultés de la paternité ; d'un paléontologiste parvenu ; d'un champion de tennis ; d'un prof de biolo frustré et cocu ; et d'un petit garçon mutique et perdu. Belle ambition, direz-vous, et certes, le film n'en manque pas. Bien entendu, le scénario tente de tresser un fil unique entre tous ces caractères, de les faire se croiser, se tromper, se battre, coucher ensemble, etc., tout ça avec l'ambiguité et la finesse propres au cinéma français grande école (l'école des Sautet, des Deray, et consorts) qu'a toujours revendiqué la Nicole.
Malheureusement, le film s'avère être une suite de séquences plus ou moins réussies, qui n'arrive à faire sens que sous les coups de bélier d'un symbolisme grossier à gros sabots : ah mais oui, étions-nous sots, ce qui relie tous ces êtres, c'est la solitude, que ne l'avait-on compris tout seuls ! Garcia, pour mieux nous en convaincre développe une sous-trame épaisse comme de la tome fraîche : on retrouve un homme préhistorique sous les glaces, qu'on surnomme "l'homme seul", qui devient bien entendu le symbole de tous ces hommes perdus. Merci, Nicole, bien urbaine, on aurait compris sans ça. Du coup, on arrête pas de se dire : ce personnage-là est inutile, cette séquence-ci est en trop, elle aurait dû resserrer... Ben oui, mais resserrer où ? Aucun personnage, aucune tranche de vie n'est vraiment convaincante. Les dialogues, écrits à gros renforts de littérature,
sentent trop la bonne élève pour nous faire croire à la vie qui bat ; les situations sont trop caricaturales (le ponpon pour le personnage de Bacri, veule, enervé, prêt à jongler avec les charges de son taf de maire pour coucher avec sa bien-aimée), jamais crédibles. Selon Charlie devient de plus en plus "inutile" au fur et à mesure qu'il se développe. N'est pas Raymond Carver qui veut, et on sent Garcia perdue dans la masse de sens qu'elle voudrait donner à son film, et terrorisée devant son thème principal : la solitude, les petites vies minables, la frustration, le renoncement, l'abdication.
C'est dommage, car la dame sait indéniablement filmer, choisir ses lumières et ses décors, et même diriger ses acteurs : ils sont presque tous très bien (un peu de mal avec Patrick Pineau), et ont l'air d'y croire dur comme fer. Sa mise en scène est très attentive à ses comédiens, remplie de gros plans assez bien venus sur des visages, sur des sentiments intérieurs. Quand il s'agit de filmer la nature, les climats, la mer, elle s'avère également une bonne observatrice, calme et amoureuse des choses. Et puis, prises une par une, ses scènes sont souvent réussies. Garcia revendique un cinéma certes passé, mais tout à fait honnête, un cinéma de personnages, de petites choses. Quand elle saura mieux écrire des dialogues et construire une histoire, elle sera sûrement une grande.