Ghost Dog de Jim Jarmusch - 1999
Grand plaisir de revoir ce film-hommage du grand Jim qui, même s'il a déjà un peu vieilli, garde tout son humour et toute sa noblesse. Si on exclut le jeu très flou de Bankolé, qui prouve qu'a priori Jarmusch ne connaît rien à la langue française et a eu beaucoup de mal à diriger cet acteur, Ghost Dog touche au très grand art. Derrière le regard limite ovin de Forest Whitaker, qui est parfait dans son mutisme et son non-jeu (tout un univers passe dans ses yeux pendant le meurtre éhonté de tous ses pigeons), derrière ces pitreries zen ostensiblement solennelles, se cache un film étrangement mélancolique, accusant doucement la fin d'une époque (celle des gangsters class et des samouraïs tout en noblesse d'âme). Jarmusch arrive à convaincre totalement dans cette veine-là, grâce à ses rythmes allanguis, grâce à la jolie musique trip-hop enfumée de RZA, grâce à cette philosophie d'un autre âge qui s'incruste dans l'écran, grâce à cette mise en scène tout en rondeurs qui tempère même les pics de violence, grâce à cet humour nonchalant (dont le gars a fait sa marque de fabrique), et même jusque dans les costumes des "vilains", impeccables de ringardise.
Ghost Dog obéit à des tempos très originaux, et le scénario, simplissime, est en total accord avec cette simplicité de trait. Le héros suit sa voie, en ligne droite, simplement, et les nombreux gros plans sur ses gestes super-pros (voler une caisse, démonter un flingue, préparer un piège) sont quasi-bressoniens dans leur filmage (voilà une phrase très class) : Jarmusch semble presque s'absenter dans ces moments-là, alors qu'il n'oublie jamais d'imprimer sa marque pince-sans-rire dans chaque trait de personnage. Les clins d'oeil à Kurosawa (Rashomon, Yojimbo) et à Scorsese (Taxi Driver surtout, lors de la tuerie pour le coup "sans violence" dans la villa des gangsters) sont parfaitement amenés, et donnent au film ce cachet désuet qui fait tout son talent. La tristesse pointe alors son nez : tristesse d'avoir perdu une certaine forme de cinéma, très repérable, et qui est comme estompée, pastellisée par Jarmusch ; tristesse de la solitude du héros ; tristesse de constater la misère du monde ; et surtout tristesse de la perte de valeurs nobles qui causeront la perte du personnage. Drôle et émouvant, Ghost Dog est très touchant.