Juliette des Esprits (Giulietta degli spiriti) de Federico Fellini - 1965
Voilà un Fellini que je n'avais jamais pu voir, et qui vient enfin de ressortir en DVD dans une version restaurée de toute beauté. Il faut dire que visuellement, Giulietta degli spiriti est absolument splendide. Rarement le père Federico n'avait atteint une telle perfection dans le choix des couleurs (à côté, Jacques Demy est pastel) et dans la démesure de la mise en scène. Du début à la fin, l'écran s'emplit de millions de personnages barjots, de décors hallucinants, d'animaux improbables (du perroquet à l'éléphant, du paon au chihuahua). Si le film annonce les grandes oeuvres baroques qui suivront (surtout La Città delle donne ou Satyricon), la référence évidente semble pourtant être 8 1/2, comme le dit très justement l'intro du DVD (rendons à César). Fellini tente, dans son monde coloré et saturé de couleurs et de motifs, de parler des fantasmes, hantises, craintes, pulsions de la Femme, ou en tout cas de sa femme, Giulietta Masina. Et ça tient du miracle de constater que jamais il ne perd son minuscule personnage de femme-enfant dans ce délire pictural, dans ces mégalomanies de metteur en scène richissime. Giulietta est toujours là, au centre de l'écran, avec son sourire triste, sa bille de clown-enfant, et Fellini arrive magiquement à la filmer dans sa plus douce intimité, bien qu'entourée de 30 éléphants, 80 transsexuels, 11 bateaux de corsaires et 18 sorcières. Si les autres personnages sont des pantins hystériques, surjouant à mort leurs caractéristiques (pas de reproche : ils ne sont que des symboles des fantasmes de la Juliette), Masina, grâce au pur génie de son bougre de compère, ne se perd jamais dans le décor. Il y a même quelques scènes très "secrètes" où le film s'apaise brusquement pour s'attarder sur une forêt, une petite fille qui joue, une femme triste... que Fellini oublie bien vite pour relancer son rythme de fou furieux.
La limite du film est peut-être un peu là : Fellini semble parfois pris dans le piège de son cahier des charges. "Je suis Fellini, donc il faut que je fasse dans le baroque total, le délire visuel". Dans le genre, on peut préférer les oeuvres futures, plus sensées, plus intelligentes. Ici, on a parfois l'impression d'un lâchage de bride un peu trop volontaire. D'autant que le brave Federico a l'air de ne pas comprendre grand-chose aux fantasmes féminins. Pas que je les connaisse beaucoup plus, remarquez bien, mais la sensation de vérité psychologique et biographique était beaucoup plus présente dans 8 1/2. Ici, on a l'impression que le brave Federico se laisse trop souvent aller à la simple fascination devant les moyens déployés et devant son inspiration picturale, totale ça va de soi. Un grand grand grand grand spectacle, c'est évident, en attendant les chefs-d'oeuvre.