Chut(e) de Thierry Berthommier et Bastien Robilliard - 2006
Voilà un film qui ne sera sûrement pas commenté sur les autres blogs, d'où notre appellation de "pointu". Chut(e) nous montre un jeune homme qui, lassé de sa femme (et on le comprend), de son taf et de ses lettres de la banque qui l'attendent, décide de se jeter du haut d'un immeuble de Shanghai, et croyez-moi ils sont hauts. Après une première séquence un poil laborieuse, les pépères sortent leurs disques, en commençant par le désormais célèbre "itchiou-ou-ouuuuuu" de Sigur Ros. Avec cette rengaine sublime apparaît la plus belle idée du film, un tournicottement de caméra, qu'on peut, oui, appeler aussi travelling qui montre en quelques plans le type qui enjambe la balustrade du toit. C'est superbe, on sent que les gars ont vu Old Boy (y compris dans le zoom arrière hyper-rapide sur le visage du comédien). J'aurais bien vu un plan de plus avant le saut, mais tel quel la scène est très belle, et en plus elle colle parfaitement sur la musique.
Le gars entame donc sa chute, soit sur du Placebo, soit sur du Ghinzu (on dirait que l'un des réalisateurs va de temps en temps au théâtre en Lozère). L'inventaire des musiques est peut-être un peu trop fourni vue la durée très courte du film, on voit bien (erreur fréquente des premiers films) que les gars ont voulu mettre toute leur discothèque dans le truc. Mais bon, ça marche. En passant devant les fenêtres de l'immeuble, le mort en puissance voit des tranches de vie chinoise dans les appartements. La première insertion est un couple assez mal assorti qui donne l'occasion de voir LE bon acteur du film, un gars qui fume sa clope avec beaucoup de classe, et qui a dû voir les westerns avec Gary Cooper. Ensuite, une scène moins bien jouée avec des travailleurs illégaux malades et spoliés (la fille malade est à se damner). L'apparition subite et inattendue, à cette occasion, d'un magnifique plan d'un film d'Eisenstein laisse sur le cul, je le dis tout net. Ensuite, un dialogue joliment cadré et monté, qui montre une nana qui a raté son examen et qui va se faire conchier par ses parents. Puis une chercheuse d'emploi qui est en train de se faire entuber grave (la Palme d'or à la voix off au téléphone, qui prononce tous les e muets, c'est justement là-dessus que je suis en train de travailler, excellent fils), mais il faut dire aussi qu'elle cherche ses offres d'emploi dans un journal qui titre sur Sarko, c'est mal barré. Bref, on l'aura compris, c'est à un rapide portrait des angoisses de la jeunesse chinoise qu'on nous convie, scénario habile de ce côté-là, rien à dire. A noter que les jeunes chinois semblent entretenir des rapports assez troubles avec leur môman, personnage hors-champ mais qui apparaît dans presque toutes les conversations.
Enfin, le gars atterrit sur un tas de poubelles. Il se relève, et là il a le geste hilarant de s'épousseter la chemise (clin d'oeil à James Bond ?). Puis il quitte au ralenti la cour de l'immeuble : est-il mort ? rassuré ? a-t-il réellement vécu cette chute ? Ce film m'a touché, malgré ses grosses maladresses de jeu et ses dialogues (mais c'est normal, les acteurs parlent français alors qu'ils sont chinois). Les réalisateurs-monteurs-profs de français ont dû faire ça avec 7 yuans, mais se payent quand même le luxe de faire des effets spéciaux et de prendre le temps de réfléchir à leur montage. Chapeau, messieurs, et total respect.
(Je me rends bien compte que cette critique va intéresser peu de monde, mais je dis prout)