Martin (1977) de George A. Romero
Un film sur le fil du rasoir: Martin est-il un vrai vampire ou reproduit-il le schéma de toute conscience adolescente qui sommeille en nous? Romero ne tranche jamais et c'est en cela qu'il peut se vanter d'être l'un des plus grands réalisateurs de films d'horreur.
J'avoue que le film laisse pendant sa vision un peu sur sa faim, non pas tant par sa forme (on a droit à notre lot de scènes sanglantes et de scènes à suspense montées par le George lui-même avec un certain brio) que par son fond... C'est un film qui nécessite de mordre dedans à pleines dents pour essayer d'en extraire le sang, le sens pardon. Là où cette oeuvre devient pleinement dérangeante, en dehors de ces scènes de banlieue complétement à la ramasse avec ces trains glauques qui ne font que passer, ces voitures compressées et écrabouillées, ces zones que fuit la jeunesse de peur de finir sûrement dans le même état, c'est surtout dans le comportement de Martin: vampire, serial-killer, ce serait bien trop facile - n'est-ce pas plutôt (ou aussi?) un adolescent frustré, oppressé par le monde qui l'entoure (les 2 scènes de poursuite cauchemardesques - les villageois avec les torches ou les policiers avec (lampes-)torches) et en particulier par le contexte familiale manichéen : son grand-père chez lequel il trouve refuge ne cesse de l'appeler Nosferatu et s'engage à le faire rentrer dans le droit chemin en le faisant travailler dans sa petite boutique d'alimentation: il n'y aurait sur cette terre aucune autre alternative que le bien et le mal (le bien étant forcément du côté de cette petite communauté catholique bien pensante) et en cela Romero définit l'essence-même de tout le cinéma américain qui depuis 30 ans continue de nous abreuver des mêmes conneries ultra-réductrices. Non, on ne combat pas un vampire avec de l'ail, une croix ou de la lumière, cela serait bien trop facile - la scène où Martin se déguise en vampire pour faire peur à son grand-père avant de partir dans un grand éclat de rire est en cela révélatrice: le "mal" n'est pas cette représentation de pacotille fruit d'un imaginaire de bas étage...
Martin fait la douloureuse expérience de la difficulté à communiquer avec ses congénères (il n'arrive à se confier qu'à un animateur d'une émission radiophonique qui tourne en dérision ses tourments) regrettant qu'"avec les femmes, le problème est qu'on arrive pas à leur faire faire ce qu'on voudrait" (je cite de mémoire, ne m'excommuniez pas). S'il finit par les vider de leur sang c'est peut-être qu'il s'agit pour lui de la seule façon de les connaître en profondeur, de communiquer corps et âme avec elle, de communier avec leur esprit. Martin, pêcheur par excellence, qui ne parvient pas à contrôler ses pulsions et à comprendre son entourage, sera d'ailleurs douloureusement puni (ironiquement d'ailleurs..., pour un crime qu'il n'a pas commis) par son grand-père (un pieu dans le bide, c'est radical, en effet)... Il sera enterré paisiblement -lors du défilement du générique de fin...- dans un jardin qu'un tapis d'herbe verte se fera une joie de venir recouvrir rapidement avant qu'une petite voix annonce sur le fil que "Martin, c'était mon ami..." Victime de la société qui sacrifie les êtres déviants ou sacrifice inéluctable d'un danger réel? La frontière entre le Bien et le Mal est définitivement bien trouble...
Des films d'horreur - oeuvre ouverte par excellence - dans cette veine, on en redemande.