Le Rideau déchiré (Torn Curtain) d'Alfred Hitchcock - 1966
Quoi qu'en pensent les critiques, François Truffaut et Hitchcock lui-même, Torn Curtain est un film tout à fait délicieux, et un brillant divertissement vraiment à la hauteur du maître. J'ai même tendance à le préférer au précédent Marnie, parce que là au moins Hitch s'amuse. Alors certes, ça ne va pas beaucoup plus loin qu'un exercice de style un peu vain, mais on se marre bien de bout en bout, et on a là la quintessence du savoir-faire formel du gars. Que demander de plus ?
L'histoire est assez naze et complètem
ent rocambolesque, on n'y croit pas une seconde, et on se rend vite compte qu'on a droit une nouvelle fois au fameux "MacGuffin" inventé par Bouddha (renseignez-vous, je me tue à vous dire de lire le Hitchcock-Truffaut, c'est vous qui voyez). Peu importe, et c'est même un plaisir de retrouver un Hitch qui s'amuse avec l'invraisemblance scénaristique. Ce qui est plus intéressant, c'est plutôt chaque séquence prise en elle-même : elles sont toutes aussi palpitantes les unes que les autres, entre la fameuse scène de meurtre à rebondissements (affadie toutefois par une absence de musique un peu gênante, j'y reviens), la poursuite en autobus qui vaut son pesant de sueurs froides (sur une situation pourtant totalement abstraite), la révélation de l'héroïsme de Newman sur la petite colline (Kiarostami s'en serait inspiré pour le final d'Au travers des Oliviers que ça m'étonnerait pas) ou encore le duel de savants devant le tableau noir (ridicule et délicieuse). Hitch fait monter le suspense de tous ces instants avec un brio total, juste pour le plaisir, et c'est chapeau bas.
Les personnages secondaires sont eux aussi parfaits, entre le salaud Gromek qui rappelle les bons temps de Peter Lorre, la danseuse russe qui louche, et surtout cette étrange parenthèse dans le récit, émouvante et étonnante chez Hitch : une immigrée polonaise à Berlin-Est, qui veut s'exiler aux States. Bouddha s'y attarde tendrement, la filme au plus près, amoureusement, et on découvre un Bouddha humaniste et confident qu'on n'attendait pas. Quant à Paul Newman, il me semble nickel, bien que peu crédible en savant international. Il tient toute la première heure du film avec une ambiguité courageuse, puis s'efface subtilement au profit du récit pur, prenant le risque de jouer un lâche, ou pour le moins un type dépassé par les évènements. Seule Julie Andrews rame un peu pour trouver sa place, mais reconnaissons que son
personnage est peu intéressant. On sent bien qu'elle voudrait rendre convaincante cette histoire de femme déçue par l'homme qu'elle aime, et faire de Torn Curtain le mélodrame intime qu'il aurait pu être. Mais elle ne trouve pas la présence de ses concurrentes hitchcockiennes précédentes.
On a beaucoup parlé du film à cause de la brouille entre Hitchcock et Herrmann pendant le tournage. Il est vrai que la musique du maître manque un peu, et que la partition finale est souvent bizarrement montée, comme si Hitch baissait les bras de ce côté-là. Mais le fait est que John Addison s'en tire quand même très bien au vu de la pression qui devait être sur lui, sa musique est élégante et romantique, ou tendue et pleine de suspense.
Bref, un Hitch mignon comme tout, sous-estimé à mort. Un peu de légèreté ne nuit pas.
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