La Maman et la Putain de Jean Eustache - 1973
Quand on a un méchant chagrin d'amour (ceci pour donner de façon larvée de mes nouvelles à mon camarade Shang), qu'on est triste donc à mourir, revoir La Maman et la Putain s'avère une expérience extraordinaire. Dans tous les autres cas aussi, puisque ce film est le plus grand film de tous les temps. J'ai déjà dit ça de Vertigo, je sais, et je le redirai sûrement quand sera venu le temps de revoir Journal Intime, Les Parapluies de Cherbourg, Elephant ou La Nuit américaine, mais c'est pas de ma faute s'il y a plusieurs plus grands films de tous les temps. Fin de l'intro.
C'est un film d'une beauté hors norme, et je crois, à la revoyure, que ça vient tout simplement du fait qu'il est écrit à la première personne. On n'a pas affaire ici, comme dans les autres films, à un travail d'équipe, mais à un caractère qui s'exprime, de façon directe. Eustache mélange les citations et les anecdotes, les blagues de potache et les prises de position politique, le MLF et la bouffe, la plus grande émotion et la littérature, le cinéma et la vie. Ca donne un long journal intime, drôle, triste, extraordinairement écrit et joué, extraordinairement monté et filmé. Jean-Pierre Léaud (pour moi, il y a lui et Mifune comme grands acteurs, les autres ne sont qu'acteurs) est l'écorché vif par excellence, avec en plus la politesse de la legèreté et de l'humour. Bernadette Laffont est belle à mourir, d'une tristesse "contemporaine" et d'une subtilité exemplaires. Françoise Lebrun est sidérante de franchise, de photogénie, de désespoir. Le film est constitué presque uniquement de dialogues, mais la variété des idées de mise en scène d'Eustache en fait aussi un film sur la ville, sur le modernisme, sur l'engagement, l'amour et l'envie de mourir. Jamais il ne filme de la même façon deux êtres qui parlent. Il y a deux ou trois plans-séquences sur des visages (le monologue de Léaud sur "les enfants, les soldats et les fous" et celui de Lebrun sur "baiser par amour" sont à pleurer de beauté) qui sont les plus beaux du monde.
Et puis il y a ces phrases, poignantes, drôles, personnelles, qui sont devenues des cris de guerre pour moi, surtout quand j'ai un chagrin d'amour : il y en a 23417789, je ne peux pas toutes les citer, alors, je me contenterai de ces deux-là :
"J'ai pensé à vous dans les chiottes. Il y a un graffitti. "Ma rage d'aimer donne sur la mort comme une fenêtre sur la cour" et quelqu'un a écrit dessous : "Saute Narcisse".
Et : "Tu as recommencé à vivre sans que l'angoisse t'étreigne. Tu es tranquille. Tu crois que tu te relèves alors que tu t'accoutumes tout doucement à la médiocrité."
Merci, Jeannot, tu m'aides bien à me relever...
Il faut que tout s'Eustache : clique