Xiao Wu, artisan pickpocket (小武) (1997) de Zhangke Jia
Premier film réalisé à l'âge de 27 ans par celui qui est en passe de devenir l'un des tout meilleurs réalisateurs chinois de la sixième génération.
Alors oui, c'est pas la fête du slip : Xiao Wu est un petit pickpocket à la ramasse abandonné peu à peu par ses anciens comparses qui se sont "rangés" dans le trafic de clopes et les bars karaoké (mais non ce ne sont pas des prostituées, juste des chanteuses pour le fun, si, si), sa petite copine, et ses parents... il finit même attaché à un poteau au vu et au su de tous, définitivement exhibé comme le mal à combattre... Oui, l'image est crade, parfois montée un peu à la hache mais c'est un film qui marque des points à l'heure de la chino-béatisation. Il montre la Chine telle qu'elle est et non comme tout le monde prend plaisir à vouloir la voir en partie (en Europe) et la montrer (en Chine).
J'aime beaucoup la scène où Xiao Wu est affalé aux côtés de sa copine malade (rencontrée dans un karaoké). Celle-ci commence à pousser la chansonnette, en pensant à ses anciens espoirs de devenir un jour une star, et s'interrompt brutalement dans un long silence qui laisse comme deux ronds de flan. Car qui est vraiment concerné par cette success story économique chinoise ????? Les petits entrepreneurs corrompus?... Qu'est-ce qui leur reste, le grand marché globalisé, les lendemains qui chantent, putain, ils ont que dalle, même pas, pour Xiao Wu, l'espoir de tomber amoureux comme un con... Le travail sur la bande son est lui remarquable car les bruits émanant de radios, de télés, de briquets, de moteurs... et j'en passe viennent constamment polluer l'atmosphère, à l'image d'une pseudo-modernité qui sonne comme un grincement de dents. Aucune complaisance, c'est ainsi, point à la ligne. La caméra reste à la trace de son personnage et ne s'emballe que pour quelques pas de danses (séquence superbement filmée par ailleurs) avant de revenir définitivement sur terre. Zhangke, avant de se servir du téléphone portable dans The World, met en scène ici remarquablement le pager : Xiao Wu s'en procure un pour rester en contact permanent avec son amie, et une fois l'objet dans la poche, il ne la reverra plus jamais... ne recevant que les prévisions météo... C'est cool le progrès.
Passerai pas mes vacances à Fenyang moi... (Shang - 14/04/06)
Retour aux premiers élans juvéniles et "nouvellevaguesques" de Jia, ainsi qu'aux temps préhistoriques de Shangols : je revois Xiao Wu, qui m'avait laissé un peu indifférent à l'époque, et le revois assez nettement à la hausse. Il y a dans le ton de ce film une nonchalance cool à la Jarmusch, une liberté de ton à la Godard et une critique politique acerbe à la Forman des premiers temps, jugez du peu. Tout est une question de regard, celui de Xia Wu, donc, petit mec sans envergure, voleur occasionnel, qui erre sans but dans les rues de sa grande ville chinoise. On ne sait trop ce qu'il cherche, ce qu'il attend, peut-être juste une confirmation à ses désillusions quant à la modernité, aux rapports hommes/femmes, à l'argent, à l'amitié, à la politique, et à son propre statut. A travers le regard presque neutre et déréalisé qu'il pose sur tout, on perçoit une Chine effectivement rarement montrée comme ça, en proie à une invasion totale des bidules technologiques inutiles, gangrénée par l'argent sale et l'objectivisation des corps. Il fallait cette présence/absence pour mettre en valeur les plaies du pays, cette manière d'accepter les choses passivement. Car Xiao Wu traverse le temps comme un zombie, incapable d'aimer la jolie Mei-Mei qui s'offre à lui, ravagé par la gêne quand il doit pousser la chansonnette et chantant à gorge déployée dès qu'il est dans son bain, incapable de comprendre pourquoi son ancien pote ne l'invite pas à son mariage, bref toujours à côté de la plaque. Face à lui le pays se désagrège vitesse grand V, et Jia enregistre tout ça d'un seul élan.
Élan qui reste ceci dit d'une lenteur toute chinoise : la mise en scène de Xiao Wu privilégie les moments de creux, à l'image de son anti-héros quelque peu maussade. Cette lenteur n'enlève rien à la grandeur du film, qui pourrait s'apparenter à une errance antonionienne presque documentaire. Elle permet au contraire d'apprécier les amples mouvements d'appareil, comme ces magnifiques plans-séquences ou ces travellings faramineux qui prennent le couple dans la rue, grimpent dans les étages, en ressortent avec une fluidité superbe. Il ne se passe pas grand chose dans le film, mais il est chargé de caractère, d'une certaine forme de dandysme désabusé vraiment attachante. Le travail sur le son est lui aussi parfait, qui fait entendre des "vrais" bruits urbains, le bruit criard des petits gadgets technologiques à la con, les chansons saturées des karaokés, les annonces officielles au micro que personne n'écoute... Bref, voilà un premier film déjà tout à fait grand, et dans ma période de réhabilitation de Jia Zhangke, j'admets le talent qui se faisait sentir dès ces prémisses. (Gols - 15/04/22)