Bande-son pour un Coup d'État (Soundtrack to a Coup d'Etat) (2024) de Johan Grimonprez
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Voilà un doc qui swingue mais qui swingue tout de même violemment dans ta face : on avait évoqué l'assassinat de Lumumba dans le dernier bouquin de Boyd, on y revient pour enfoncer le clou ; Grimonprez sur une bande-originale absolument classieuse (ne cherchez pas, tous les grands noms du jazz y sont, d'Armstrong à Ellington en passant par Gillespie, Abbey Lincoln, Max Roach qui défonce tout à la batterie, Davis, Simone, Coltrane...), à l'aide d'images d'archives adéquates, nous livre une orchestration à la fois magistrale, splendide et débectante de ce bon vieux temps (...) de la fin (qui n'en finit jamais vraiment) du colonialisme. A la baguette, nos amis belges (oups, cette fois-ci, on n'est pas en ligne de mire... Mais on retrouve déjà le fameux refrain du "rôle civilisateur" de l'Europe - putain, Sarko, t'es franchement le roi du carnaval...), soigneusement épaulés par les Américains et les Nations unies... L'indépendance du Congo, bien sûr, mais on ne touche surtout pas aux mines du Katanga et à ses ressources en uranium... Du coup, bon, on veut bien proclamer l'indépendance, mais Lumumba, tu as aussi intérêt à la fermer... Soutenu par l'incontournable Malcolm X (dont chaque intervention se révèle tranchante et d'une terrible lucidité), par l'ami Nikita Khrouchtchev qui aime à taper du poing sur la table aux Nations Unies, par Castro, le fidèle, et l'ensemble des pays africains en quête d'indépendance, Lumumba ne pourra, on le sait, faire le poids. Du secrétaire de l'ONU aux responsables diplomatiques belges, les paroles sont belles (plus de colonialisme, ni de néo-colonialisme, ni de soldats de l'ombre), s'emploient à cacher les faits mais la vérité est là : des mercenaires sont envoyés sur place pour mater et bombarder la population, détruire les villages et la CIA veille pour museler Lumumba ; l'essentiel est de garder la face et de piller l'uranium - au prix donc de massacres ignobles (ce mercenaire allemand avec sa petite croix gammée en souvenir de ce regretté passé qui, entre deux tueries, évoque sa petite visite culturelle au Goethe Institute au Congo - je n'aurai pas plus gerbant pour aujourd'hui...) et de l'assassinat d'un Lumumba finalement impuissant... L'indépendance est en avant : un pas en avant, et deux en arrière...
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Nos jazzmen, Armstrong en tête, servent de judicieux émissaires pour les Ricains en Afrique et sont autant "d'écrans de fumée", de jolies façades culturelles noires, pendant qu'on continue en coulisse de saigner à blanc cette pauvre population, ce pays, ce continent... Si la musique swingue, c'est souvent avec des accents de douleur (cette dernière partition d'Abbey Lincoln et de Roach qui met les poils...), comme pour chercher à mettre en musique ces cris qui viennent du fond du cœur. Grimonprey nous sert pour le coup un montage résolument hectique, quelque peu déroutant dans sa première demi-heure (les citations fusent, les images s'enchainent, la musique explose) et on en prend un peu plein les mirettes : à l'image finalement de la poudre aux yeux jetée par les Occidentaux - mais il faut bien sûr aller au-delà des apparences et s'attacher aux paroles de ces hommes combattifs, ces Lumumba, ces Malcolm, ces chefs d'état des pays non alignés. Peu à peu, la supercherie des Nations Unies se dévoile, le déploiement de ces soldats au Congo n'étant là que pour servir nos amis belges et ricains... Non, il n'y a pas eu de coup d'état au Congo, non, il n'y a pas eu un massacre de la population, non, il n'y a pas d'intérêt occidentaux en Afrique, non, ceci n'est pas une pipe (le clin d’œil à Magritte n'a jamais sonné aussi terriblement juste). Le film déroule son casting de jazzmen de premier choix à mesure que grandit notre détresse devant cette nouvelle manipulation mondialement et cruellement mise en scène. Magnifique bande-son pour illustrer ce petit coup de boule démonstratif dans la tronche occidentale... Civilisons, civilisons, puisque seules les paroles comptent... Ils peuvent garder la musique... Une magnifique portée musicale pour garder la tête haute face à la noirceur de ce siècle passé...
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