LIVRE : Ohé Pimoe d'Eric Chevillard - 2025
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Toujours adepte des expérimentations, voilà notre bon vieux Chevillard arpentant le domaine de la poésie. Ce n'est guère étonnant vu les livres qu'il a déjà donnés à Fata Morgana, petites pièces inclassables à la lisière du genre. Ohé Pimoe est donc un long poème qui joue aussi bien des sonorités, des rythmes que des acrobaties sémantiques, des circonvolutions d'une "trame" absurde ou des inspirations oulipesques. Au départ, une jeune fille aperçue de dos, face à la mer : Pimoe rentre dans le cerveau du narrateur et n'en sortira plus. Chevillard se lance donc dans une élégie lyrique pour cette silhouette entrevue, mélange de fantasmes et de rêves, qui l'emmènera très loin, puisque le poème fait des détours du côté des sauvages ou des grandes expéditions marines. L'imagination déployée est comme toujours effarante, Chevillard n'ayant pas son pareil pour vous emmener en quelques mots dans un univers absurde et insaisissable : il démarre sur les mots les plus simples et les situations les plus triviales, et au bout de la ligne, vous êtes à l'autre bout de la planète à explorer les paramécies ou lutter contre des cannibales ; le tout en restant dans le strict poème d'amour. Avec une maestria confondante, la gars donne libre cours à son esprit inventif, et on se retrouve une nouvelle fois face à un texte indescriptible, qui pourrait ressembler à un poème d'évasion si les notes en côté de pages ne vous ramenaient sans cesse dans la réalité la plus crue avec leurs jeux de mots à deux balles et leurs commentaires ironiques. Car Ohé Pimoe contient le poème et la critique du poème, le lâcher-prise et la maîtrise, le romantisme et le commentaire du romantisme. Le genre poétique permet d'autre part à Chevillard de se livrer entièrement à ses jeux avec les sons : on ne compte plus les assonances, les homéotéleutes, les anaphores et autres antanaclases du texte, terrain de jeu idéal pour cet esthète de la forme et du mot : lisez le texte à haute voix, c'est un enchantement musical. Ajoutez à tout cela que le livre est très drôle en ce qu'il montre un narrateur incapable d'aborder cette jeune fille et remplaçant sa timidité par des délires de voyages et de situations périlleuses, archétype éternel chez Chevillard du loser moderne, inadapté et autiste. Il n'y a que les petits dessins de fin de livre, qui semblent envoyer à certains passages du texte, qui m'ont laissé perplexe : je suis preneur pour une explication. A part ça, vous aurez compris que ce livre est un vrai plaisir de style, un exercice qui ne se laisse jamais déborder par ses concepts, un très bon moment récréatif et savant.