LIVRE : Toutes les Epoques sont dégueulasses de Laure Murat - 2025
"Le racisme, le colonialisme, l'antisémitisme sont des idéologies. Extirper d'un texte ici un mot insultant, là un adjectif désobligeant revient à sortir des poissons crevés d'une eau qui, de toute façon, est empoisonnée."
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Laure Murat nous avait déjà épatés avec son ouvrage sur Proust, là voilà qui nous revient avec un opuscule sur un sujet qui m'empêche depuis plusieurs mois de dormir (j'exagère sans doute un peu) : la récriture de textes classiques dont les propos (racistes ou sexistes) pourraient choquer... Partant de Dix petits nègres pour évoquer par la suite, entre autres, les œuvres de Ian Fleming, d'Agatha Christie, d'Hergé ou encore de Roald Dahl, Murat tente en toute objectivité et avec précision de cerner les problèmes éventuels posés et d'en livrer une analyse des plus fines. Ces récritures (à différencier des "réécritures" voulues et faites par les auteurs eux-mêmes) ont souvent finalement un simple rôle de "cosmétique", et portent généralement en eux un aspect lucratif qui ne résout en rien le fond du problème. Revenant sur les propos quelque peu limite d'un James Bond, sur la préface (écrite a posteriori) très arrangeante et contestable de Tintin au Congo, ou encore sur les travestissements ridicules que l’œuvre de Dahl a pu subir, Murat apporte du grain à moudre à la réflexion : fi des polémiques et des discours (qu'ils viennent de droite (extrême) comme de gauche (poussive)), discours et propos souvent stéréotypés et menant tout droit à l'impasse. Il est grand temps de lire une œuvre pour ce qu'elle fut (avec éventuellement des mises en garde d'usage non tronquées ou fallacieuses) et de "réinventer" ces œuvres à l'aune de notre époque (pas plus "dégueulasse" (ou pour le moins tout autant) que les autres). Un peu de recul sur la question ne peut pas faire de mal, surtout quand cela se fait en bonne intelligence. Je vais pour ma part mieux dormir. Tiens, file-moi mon Céline. (Shang - 16/06/25)
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On est bien d'accord : ce minuscule livre de Murat (qui aurait peut-être plus trouvé sa place dans les colonnes de Télérama ou du Monde qu'en librairie) est d'une belle simplicité, et s'avère un modèle de raison dans ces débats quelque peu manichéens sur le sujet du wokisme. Contre toute attente, la dame ne prend pas parti ni pour les tenants d'un respect sans nuance des textes d'origine, quels que soient leurs propos, ni pour les défenseurs de la récriture des textes pour les rendre plus "audibles" par le public d'aujourd'hui : elle sait avec nuance peser le pour et le contre, ne pas précipiter son opinion, et fait ainsi figure de philosophe pleine de sa gesse. Si on referme le livre sans avoir vraiment fait avancer le schmilblick, on y aura au moins trouvé matière à réflexion dans ce monde pratiquant souvent la binarité. Surtout que la nuance de Murat ne signifie pas qu'elle adopte une attitude de Normand : au contraire, elle clame haut ses méfiances (et bim sur la tête de Nicolas Mathieu, et poum sur la caboche du préfacier de Hergé), et affiche ses choix de privilégier la mise en contexte, de protéger les enfants, bref de faire preuve d'intelligence. Le sujet mériterait sûrement beaucoup plus de pages, mais comme introduction au problème, c'est impeccable. (Gols - 03/07/25)