LIVRE : Correspondance avec des cinéastes 1954-1984 de François Truffaut - 2025
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Non, mais quelle classe, quelle élégance, quel raffinement. La lecture de ce volume des lettres de Truffaut adressées à ses confrères est un éblouissement du début à la fin, tant il nous ramène à une époque enfuie, où, non seulement on écrivait des lettres, à la main, avec un stylo, mais aussi où on savait manier la langue, pour louer la plupart du temps, mais pour faire mal aussi de temps en temps. Dans la louange ou dans l'attaque, Truffaut se montre également génial : ses lettres sont un modèle d'écriture, et on lit ce bouquin comme on lirait une biographie du maître, depuis ses débuts jusqu'à sa mort, à travers ses mots, ses changements de posture, sa métamorphose depuis le critique tout feu tout flamme jusqu'à l'homme mûr (et embourgeoisé, diront les mauvaises langues), ses amours éternelles (Hitchcock, Rohmer, Renoir, Gance), ses violents dégouts (Christian-Jaque), ses potes fidèles (Rivette, Chabrol), ses potes qui trahissent (Godard), ses copains un peu lourds (Marcel Ophüls, Vecchiali), bref tout un monde qui s'agite, se vante, réclame l'attention de, remercie ou reproche, sollicite, déclare son admiration, demande du fric, exige, insulte, met au point, discute, prend rendez-vous pour le 15 du mois, critique, refuse ou accepte, se plaint, invite, profite de... La grande qualité de cette édition est de comporter également les réponses des correspondants de Truffaut, et même les lettres des gens qui l'ont sollicité sans réponse de sa part (pas très généreux envers les jeunes, la Truffe, sur ses vieux jours, Carax, Trueba et Isserman resteront bredouilles). Nous voilà donc traversant 4 décennies de cinéma français, dans l'intimité des plus grands, dans les détails parfois triviaux des tournages de films qui sont des chefs-d’œuvre ou des trucs complètement oubliés, dans le sentiment pur quand on écrit à un vieil ami ou à un artiste admiré. Voir ainsi dans le détail racontée la genèse du Hitchcock-Truffaut, de l'Histoire (chaotique) d'Adèle H ou de la difficile production de Ma Nuit chez Maud est un bonheur total ; tout comme il est délicieux d'assister, au gré de ces lettres, à la naissance d'un cinéaste (Pierre Kast, Bertrand Tavernier ou Jacques Doillon), patiemment pris sous l'aile tutélaire de Truffaut, qui passe lentement de débutant génial à maître vénéré. La petite cuisine interne du cinéma, avec ses échanges de bons procédés, son mercato d'acteurs (marrant de voir Jeanne Moreau ou Jean-Pierre Léaud passer de main en main), ses coups bas ou ses tactiques, est magnifiquement rendue dans ces messages entre cinéastes;
Mais ce qui marque le plus, indéniablement, c'est l'authenticité de Truffaut, même quand il a été taxé, sur ses derniers films, de conformisme ou d'académisme. C'est sidérant de voir la franchise avec laquelle il s'adresse à ses collègues, en bien (l'amitié indéfectible avec Renoir), ou en mal (les attaques cinglantes et frontales envers Godard ou Christian-Jacque). On peut dire ce qu'on veut du personnage, mais Truffaut est honnête, et ne sait pas mentir : quand un scénario ne lui plait pas, quand on le sollicité pour un combat politique qui n'est pas le sien, quand il est vexé par une interview ou par une trahison (bim sur la tête de Lelouch), il le dit, et il le dit tout net. Mais il le dit avec une intelligence extraordinaire, toujours attentif à ses mots, toujours juste et mesuré dans ses attaques. On voit qu'il vient de l'écriture avant de venir du cinéma : les mots sont des armes. Mais les autres ne sont pas en reste, et on applaudira devant les lettres de Jean-Paul Le Chanois (de l'élégance pure : Truffaut détestait ses films, mais ce qu'il dit des 400 coups et sa réponse est un modèle d'intelligence et de bienveillance), devant les facéties de Renoir ou le beau sentimentalisme d'Abel Gance. Le livre est un festival d'intelligence. On y lit en filigrane ce qui soudait la Nouvelle Vague, ce qu'elle devait à certains de ses pères et ce qu'elle apportera à la génération suivante, les liens parfois inattendus qui se tressaient entre des cinéastes différents, les difficultés de la création. Mais surtout on y voit un homme, Truffaut, figure centrale du livre, et comment ses films ont marqué leur époque, positivement ou non, la sorte d'émulation qu'il déclenchait autour de lui, le bouillonnement artistique qu'il savait provoquer. Une lecture primordiale, aussi bien pour le plaisir des mots que pour celui du cinéma.
Tout Truffaut : clique et profite