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7 juin 2025

La Fin du monde dans notre lit conjugal (La fine del mondo nel nostro solito letto in una notte piena di pioggia) de Lina Wertmüller - 1978

Chaque fois que j'ai la nostalgie de l'Italie (où je n'ai jamais mis les pieds), je m'envoie un petit Lina Wertmüller. La bougresse représente pour moi l'Italie telle que je l'imagine, et il suffit de deux minutes pour que je me retrouve plongé dans ces ambiances tragi-comiques. L'effet a fonctionné tout autant dans La Fin du monde dans notre lit conjugal, qui est pourtant un film réalisé en langue anglaise et se déroulant en partie à San Francisco. Il faut dire que Wertmüller exporte là-bas ses conceptions du couple et de la politique : elle a emmené dans ses bagages sa culture italienne, qui devient même le moteur du film. Il s'agit en effet de faire le bilan d'un couple après dix ans de mariage, couple bien mal assorti : elle est une Américaine féministe, plutôt calme et intellectuelle, sensible et cultivée ; lui est un Italien pur jus, communiste, tapageur, machiste et à la main leste. Allez comprendre, ces deux-là se croisent au cours d'une fête italienne, et c'est le coup de foudre immédiat, bien aidé il est vrai... par le viol que le sieur commet sur la femme. Chez Wertmüller, on ne s'encombre pas de tergiversations psychologiques : un homme viole une femme, elle tombe raide dingue de lui. On les retrouve quelques années plus tard, dans un appartement romain battu par une forte pluie, pour un bilan qui va s'avérer bien amer : ils ne s'aiment plus, ou en tout cas ne se le disent plus, si tant est qu'ils l'aient jamais ressenti. Lui veut baiser toujours dans la même position, elle voudrait un peu de sentiment et de nouveauté, lui se vexe et casse tout, elle désespère et s'enfuit en claquant la porte, lui la poursuit en vociférant, elle pleure, il pleure, ils s’embrassent, puis se ré-engueulent. 

On ne peut pas dire que le film soit de tout repos : bruyant, à l'instar du personnage masculin, braillard et  brut de décoffrage, il constitue presque un Scènes de la vie conjugale inversé, où la finesse psy de Bergman serait remplacée par la chair, la politique, le sexe. La cinéaste oppose les contraires, aussi bien au niveau des "genres de cinéma" (le film psy américain, la grosse farce italienne) qu'au niveau des acteurs : tous les deux excellents dans leur emploi, Candice Bergen en femme fatale douce et froide, et Giancarlo Giannini représentent les deux revers de la médaille. On reprochera au film son rythme, sa longueur, de ne pas savoir couper : les scènes sont trop longues, répétitives, et Wertmüller aurait pu se passer de pas mal d'entre elles, qui n'ajoutent rien au schmilblick. Elle n'aime rien tant qu'une certaine trivialité, dans le propos et esthétiquement, et ce film est une sorte d'archétype de ce qu'elle sait faire, dans la grandeur et dans les défauts : c'est laid, braillard, excessif, paillard, très discutable, mais c'est d'une sincérité totale, et comme d'habitude, elle parvient magiquement à extirper de la pire boue la beauté totale : ces personnages, surtout l'homme, ressortent de cette mascarade assez nihiliste grandis, beaux, forts, et on est définitivement amoureux d'eux à la fin. C'est triste et désabusé, oui, et on cherchera cette fois-ci en vain des traces de la distance farcesque de l'auteur (même si l'humour n'en est pas absent pour autant). Mais il a une sorte de mélancolie très prenante, d'humanisme sévère, cumulé à une conviction politique très forte (un marxiste peut aimer une capitaliste, la droite peut s'allier avec la gauche) qui touche durablement.

Quant à la mise en scène, c'est une nouvelle fois brillant. Les mouvements de caméra, dans cet appartement confiné, sont d'une ampleur et d'une élégance totales, et prennent le temps de filmer le très beau décor légèrement décadent, les objets vieillots. Pour mettre la distance nécessaire, Wertmüller adjoint au récit une sorte de chœur antique, méli-mélo de figures fantasques qui commentent l'action, se moquent des personnages, amènent subtilement un flash-back et apparaissent aux moments les plus incongrus : on n'oubliera pas le dernier regard de Bergen vers le miroir où les visages des femmes du chœur la dévisagent un peu interloqués et son sourire : "ben oui, cet homme est con, il traite le féminisme comme une aberration, mais je l'aime, et je vous emmerde". L'utilisation de la splendide musique de Renato de Simone est un modèle d'intelligence et de sensibilité. Le film a 1000 défauts, mais il contient cette éternelle sincérité, cette droiture dans les idées (même les plus provocatrices, notamment en matière de sexe), cet amour inconditionnel pour les petites gens, ce regard mi-amer mi-aimant sur les personnages, cette puissance formelle qui fait, définitivement, la marque d'une très grande cinéaste. 

 

Les archives de Lina

Commentaires
H
Impossible, pour ma part, de ne pas aimer ce cinéma-là. Le film en question - que je découvre, merci Shangols - n'est pas le plus organisé, il est même bordélique à souhait et sentimentalement fourre-tout. Mais Wertmüller n'a pas sa pareille pour extraire de ce chaos poussé à son extrême les émotions les plus authentiques et les plus raffinées, que les habituels mélodrames ultra-formatés et bassement psychologisants (notamment hollywoodiens) qui occupent une (trop) grande partie de l'histoire du cinéma n'ont jamais su approcher. Avec toutefois ici un petit déséquilibre, ou un paradoxe, à savoir que le personnage féminin et féministe manque quelque peu de consistance, malgré l'interprétation impeccable de Candice Bergen. Mais pas facile de passer après la merveilleuse Mariaangela Melato ...
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G
Dans mes bras, Hans !
M
Ah mince, pas possible... jamais mis les pieds en Italie ? Jamais ? J'y crois pas. <br /> On peut y aller à pinces, t'sais ? (sauf si t'es Afghan ou Syrien ou Soudanais).<br /> Déjà, tu passes la frontière après Menton (sans intérêt, mycoses sur la plage), tu tombes sur Vintimille... et c'est déjà l'altro mondo, amico mio ! le bordel qui chante et tutti frutti, avec ou sans Melloni.<br /> De toute façon, ce sera forcément plus beau qu'un film de Lina Vertenulla, ça, je peux le garantir.
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