La Jeune Femme à l’aiguille (Pigen med nålen) de Magnus von Horn - 2025
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Magnus von Horn avait tout pour réaliser un mélodrame sur fond social, mais il fait en fin de compte de La Jeune Femme à l'aiguille une sorte de film fantastique, entre David Lynch et Murnau. C'est inattendu, et le ton très original qu'il trouve ici pour raconter son histoire fait tout l'intérêt du film, par ailleurs trop long et bourré de défauts. Le gusse a notamment la main un peu lourde pour puiser dans le misérabilisme à la Zola : dans l'immédiat après-Première-Guerre, Karoline est sans nouvelle de son mari parti soldat. Elle fricote avec le patron de son usine de textile, se fait mettre en cloque et abandonner aussitôt. Boum, le mari revient défiguré par un obus, elle st virée de son travail, rien ne va plus. Elle rencontre alors une étrange femme, Dagmar qui va la prendre sous son aile et lui révéler ses activités : elle récupère selon finances les nouveaux-nés des pauvres qui ne peuvent pas s'en occuper pour les revendre aux riches qui ne peuvent pas en avoir. Un arrangement bien pratique pour cacher d'autres activités nettement plus coupables, que Karoline, qui devient peu à peu le bras droit de Dagmar, va découvrir effarée. Dans ce film, on accouche sur des tas de patates, on jette les bébés dans l'égout, on embrasse la gorge béante d'une "gueule cassée", ça ne rigole pas. Et ça ne rigole pas non plus avec l'imagerie doloriste et le drame : Von Horn a tendance à en rajouter dans le sordide, à se vautrer dans une certaine complaisance par rapport à tout ça, si bien qu'on a l'impression jusque dans l'esthétique (le noir et blanc très à l'ancienne), de se trouver dans une image d'Epinal du XIXème siècle. C'est beau, hein, je ne dis pas, mais c'est très très glauque, un peu cliché dans le genre "misère sociale", et on a parfois que ça manque un peu de sincérité...
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Beaucoup plus intéressantes sont les occurrences du fantastique dans cette histoire, d'autant qu'on ne s'attend pas à les y trouver. L'arrivée du mari défiguré ouvre la voie, et plonge dans une atmosphère à la Elephant Man tout à fait intéressante. Regarder manger cet homme masqué, par exemple, marque des points dans le dégoût. Ça se poursuit avec cette image malaisante de la jeune femme qui allaite une enfant de 8 ans, une étrange impression de mutation des corps qui passe par une sorte d'interdit. Ça se termine avec cette image infernale de Dagmar se livrant à ses sombres actions dans une Copenhague transformée en labyrinthe. Peu à peu, le personnage négatif prend le dessus sur le positif, devient le véritable "héros" du film, et c'est un bon choix : si l'actrice qui joue Karoline manque un peu d'ampleur et de présence, Trine Dyrholm dans le rôle de la très troublante et ambiguë Dagmar est assez géniale, à la fois très attachante et effrayante. Le duo étrange qu'elle forme avec cette fillette qui a tout de la poupée animée fonctionne comme un autre élément fantastique puissant.
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La veine fantastique est donc la plus intéressante, et peut-être même la seule. Elle donne à ce bazar des allures de film muet des années 30, à la Browning, à la Murnau, et vient flirter avec le conte macabre, le cauchemar enfantin. Mais n'allez pas penser qu'on est là dans le cinéma fantastique pur. Von Horn aborde beaucoup de styles, et beaucoup trio sûrement. Trop diffus, le film se perd dans un surnombre de pistes, et n'attaque réellement son sujet qu'après une première heure trop brouillonne au niveau du scénario. Il y a un vague discours, féministe, un vague discours sur la lutte des classes, un vague discours sur les ravages de la guerre, un vague discours sur la monstruosité morale qui peut être endossée par un personnage aimable, bref tout est abordé mais un peu en surface. Au final, on aura apprécié la beauté vénéneuse des plans, admiré une magnifique actrice, mais traversé un film mal-aimable qui ne fait pas ressentir grand-chose.
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