LIVRE : Ta Promesse de Camille Laurens - 2025
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Au milieu de tous ses livres fumeux et sans intérêt, il arrive, voyez-vous ça, que Camille Laurens parvienne à trouver le ton juste, l'intelligence de propos, le bon discours pour parler du thème qui occupe toute son œuvre : les difficiles rapports homme/femme. C'est le cas avec cet opus 2025, qui m'a franchement emballé, il ne faut jamais dire fontaine. A priori pourtant, rien qui ne m'ennuie plus que ces plaintes nombrilistes qui transforment n'importe quelle expérience anodine en tragédie grecque, que cette posture qui fait considérer sa petite vie normale et banale en épopée partageable par tout le monde. En cultivant ici le doute entre expérience personnelle et pur roman, Laurens fait le bon choix et sort un peu de son côté "moi je" pour livrer un témoignage intéressant sur la fameuse toxicité masculine. C'est la description assez précise d'une histoire d'amour qui débouche sur un drame : dès les premières pages, on comprend que Claire Lancel, écrivaine à succès, s'adresse à son avocat, qu'elle est impliquée dans un crime, dont Gilles, metteur en scène émergent, est la victime. On ne sait trop ce qu'elle a fait, et ce mystère tient le livre avec beaucoup de tension : on a presque l'impression d'un polar mâtiné de tragédie, tant la machinerie est mise en place dès ces premières phrases et ne nous lâchera plus.
En tout cas, la dame raconte par le menu son amour passionnel envers notre homme. Dans les 150 premières pages, amour (quasi) idyllique, passion partagée, idéalisation de monsieur qui se montre attentif, attentionné, admiratif, aimant, surprenant, bref un homme parfait pour notre Claire émerveillée. Seules quelques petites vanités typiquement masculines (quelques jalousies, quelques pointes d'orgueil) viennent rayer la belle surface, et on se dit que le drame va sûrement venir de là, mais que, à tout prendre, on pourrait avoir les mêmes. C'est bien là tout le talent du texte : nous questionner sur notre propre perversité, qu’elle soit consciente ou non. Gilles est un type normal, comme vous et moi, ce n'est pas le diable, mais peu à peu son comportement devient trouble, ses manœuvres pour prendre la pouvoir dans le couple se changent en perversion, et le quotidien idyllique devient un enfer. Le livre interroge la perversité latente qui se cache dans toute relation de couple : vision subjective d'une femme blessée à l'ère de Metoo, ou véritable tare masculine intrinsèque ? A nous de juger, dans cette histoire qui vrille peu à peu de la relation parfaite à un système de frustrations, de violences, de brimades, d'humiliations et de tromperies qui mènent au geste fatal. Dommage que la fin du roman se laisse aller à un coup de théâtre qui met les points sur les i du caractère de Gilles : on préférait que le doute plane sur sa véritable perversité. Mais jusque là, Laurens parvient avec beaucoup de finesse à faire exister ces deux personnages, à nous montrer comment deux êtres intelligents, cultivés, raffinés, peuvent en arriver à se livrer à un jeu de domination bien glauque ; par petites touches, par micro-anecdotes pas importantes, Gilles prend le pouvoir sur Claire, la vampirise, la manipule, par pur narcissisme... à moins que ce ne soit sa vision à elle qui soit tronquée. De temps en temps, le récit sort de cet unique point de vue pour faire parler des témoins extérieurs, à charge ou non, et c'est une bonne idée : ça permet d'avoir une lecture moins à chaud de ces tout petits événements, et de se faire sa propre opinion. Ainsi, par le monologue et les petites pointes d'objectivité, Laurens parvient à décrypter avec intelligence les mécanismes de la domination dans le couple, tout en ménageant un suspense très agréable : on lit la chose en se rongeant les ongles et intéressé aussi par ce miroir tendu à notre masculinité. Sain livre donc, qui parvient (ô miracle chez cette auteur trop portée sur l'auto-fiction fatiguée) à l'universel.