La Chambre d'à côté (The Room Next Door) (2024) de Pedro Almodóvar
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Remarquable, remarquable en tout point. Voilà bien longtemps que je n'avais pas été aussi séduit par le gars Pedro. Moi qui, fan des premiers trucs un peu foutraques du sieur, lui reprochais sempiternellement une sorte de "classicisme" un peu mou, je ressors de ce film sur... la fin de vie, absolument emballé, prêt à m'envoyer une petite pilule pour - ah ben, non, ce serait un peu sot pour le coup. Deux actrices en état de grâce (la Swinton m'exaspère un peu parfois mais elle est là simplement sobre et juste ; Julian Moore est comme toujours radieuse et d'une finesse de jeu absolue) + un acteur au taquet (Turturro is back et d'une noirceur époustouflante) : le trio est filmé au plus près, leur visage envahit souvent l'écran et l'on est pris du début à la fin par leurs tourments, leurs doutes, leur intensité, leurs choix, leurs convictions.
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Almodovar soigne, me direz-vous comme d'habitude, sa musique et son esthétisme, mais il y a ici une telle évidence de "bon goût" que l'on est proprement bluffé dès la première image, dès la première note. Alberto Iglesias signe une partition redoutable qui flirte parfois, étonnamment, avec le film noir, le film à suspense : chaque fois qu'il est question de cette petite pilule fatale, de la mort potentielle de cette héroïne touchée par le cancer (Swinton), l'accompagnement musical s'emballe et nous met dans un subit état de trouble - il s'agit en un sens d'un choix étonnant (puisque la "tueuse" ne décide d'assassiner... qu'elle-même) mais qui se révèle parfaitement adapté tant il nous plonge dans un stress évident, tant il nous fait ressentir les palpitations de la Moore (qui est censée accompagner Swinton jusqu'au moment crucial), tant il insuffle un certain malaise dans cette atmosphère pourtant généralement si zen. Quant aux choix de la couleur des vêtements ou des éléments du décor (ce vert et ce rouge notamment qui collent aux deux héroïnes), il est tout autant réussi tant il donne à nos deux personnages une véritable "unité", à ces deux caractères bien trempés une certaine "homogénéité" - chacune suit jusqu'au bout ses choix, semble vouloir les assumer pleinement.
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Almodovar distille comme toujours des petites références picturales ou cinématographiques de choix, et on peut admirer ici aussi bien le clin d’œil à Edward Hopper (à l'un de ses tableaux en particulier mais aussi lors d'une scène (finale) qui semble avoir été éclairée, que dis-je, peinte par lui), que celui à Buster Keaton qui insuffle dans un parfait timing une touche de burlesque et drôlerie lors d'un moment suspendu, ou encore, bien sûr, à The Dead, les mots de Joyce ou le film de Huston venant superbement enrober le film d'une touche de légèreté... et d'éternité. On se prend au jeu, franchement, de bout en bout, alors même que la thématique ici est loin d'être olé olé ; si Almodovar, par le biais du personnage de Turturro fait quelque peu sonner les trompettes de notre civilisation, il prouve aussi, par ce film, que cette décision (celle de mettre fin à sa propre vie) jugée par la plupart des pays comme étant encore hors-la-loi, est une décision qui doit être perçue avec... humanité. Son film, résolument à fleur de peau, parvenant comme jamais à filmer des personnages "fantomatiques", est rempli comme un œuf de vie, d'humanisme, jusqu'au dernier souffle, jusqu'au dernier geste. Une année qui commence résolument en trombe et sous les meilleurs auspices : si l'on se met déjà à chavirer comme des petits flocons de neige devant les œuvres de Pedro, comment va-t-on finir l'année ? Sublime écrin, franchement mortel. (Shang - 14/01/25)
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Et voilà : mi-janvier, et on est déjà pas d'accord. Non pas que je n'ai pas aimé La Chambre d'à côté, notez bien. Mais je crois qu'Almodovar est définitivement plus un poète méditerranéen qu’américain : son changement de continent lui convient mal, et son cinéma se fait un peu lourdaud, un peu sérieux, un peu marmoréen, quand on attend de ses films une chaleur, une énergie typiquement ibèrique. Ici, on regarde s'agiter ces personnages comme des poissons dans un aqsuarium, ce que confirment les nombreux plans des comédiennes pris derrière des vitres. C'est froid comme la mort, un peu dénué de sentiments, cérébral et calculé mais sans chaleur. Tilda Swinton, et surtout Julianne Moore, s'adaptent mal au style almodovarien : trop américaines dans leur jeu, elles soulignent les intentions, alors même que le scénario (adapté du magnifique et autrement plus subtil roman de Nunez) hurle à la finesse, à la mesure. Elles sont très bien, hein, mais disons qu'elles jouent dans un film de Todd Haynes, alors qu'on est face à un Almodovar. Un peu perdu dans cette nouvelle culture sûrement, le cinéaste écrit un scénario un peu appuyé, qui répète les informations trois fois de peur que le public américain ne comprenne pas : on a compris par exemple à la première allusion les rapports de cette histoire avec la nouvelle de Joyce, The Dead ; mais le truc nous est répété trois fois, en long en large et en travers. La deuxième fois on tique, la troisième on se vexe : ça va, on a compris. Ailleurs, on a capté que l'homme que rencontre Swinton en Irak a eu une relation avec son pote journaliste ; pourquoi nous la redire une fois de retour dans l'avion ? Cette première partie en flash-back est d'ailleurs bien inutile, et le film aurait gagné à être resserré, non seulement de cette partie, mais aussi du dernier quart d'heure, qui se perd dans un polar exsangue et anachronique, puis dans une résolution pas géniale avec la fille de Swinton. Bref, Almodovar manque de finesse dans l'écriture, et ses comédiennes, comme son musicien, le suivent dans cette voie : j'ai un peu tiqué devant cette musique omniprésente d'Iglesias. Je n'ai pas remarqué le petit coup de la musique de thriller relevé par Shang, mais j'ai bien vu ses clins d’œil appuyés du côté du grand mélodrame qu'est pour le coup In the Mood for love, et ça m'a semblé un brin racoleur.
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Il y a pourtant un aspect qui reste génial dans ce film comme dans les autres de cet auteur : la mise en scène. Elle est en effet parfaite, avec ces costumes incroyables, tout en couleurs primaires audacieuses, que porte Swinton ; dans l'utilisation des couleurs franches des accessoires (les deux transats qui, rapprochés à la fin, deviennent comme des panneaux à la Warhol) ; dans cette radicalité du champ-contre-champ, qui transcende l'aspect bavard du film et le dope d'une énergie étonnante ; dans l'utilisation du décor naturel (cette forêt qui borde la villa hyper-américaine et très belle) ; dans les quelques audaces qui viennent réveiller l’œil (impressionnant premier plan par exemple). De ce côté-là, on reconnait la grandeur du cinéaste, qui parvient à conserver son style même dans un autre cinéma que le sien. Et puis, il y a Turturo, effectivement génial, second rôle capital ici, sorte d'ami bienveillant, toujours amoureux de ces deux femmes qu'il a aimées jadis : là, ok, voilà de la sobriété comme on l'aime. Pour tout ça, je reconnais qu'on passe un bon moment avec ce film ; mais je préfère définitivement les films espagnols du maître, plus incarnés, plus chaleureux, plus habités que cet objet chirurgical qui m'a laissé froid. (Gols - 17/01/25)
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