L'Homme du Large de Marcel L'Herbier - 1920
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Je ne cesse de m'ébaubir devant les trésors souvent oubliés des premiers temps du cinéma français. Après Gance, après Duvivier, voici pourtant un film formidable, d'une invention et d'une audace folle, réalisé par un Marcel L'Herbier pas avare d'effets novateurs. Le génie formel est pourtant mis au service d'une histoire franchement improbable, qui semble directement extraite d'une de ces images de boîte à sucres de ma mémé, une trame poisseusement mélodramatique et désespérément rubigineuse. Un vieux marin à moitié fou vit reclus de la société des hommes, et on va nous expliquer le pourquoi du comment. Flash-back : après avoir donné naissance à une fille (berk), il voit enfin la venue providentielle d'un fils. Il l'imagine déjà affronter les courants et pêcher des espadons, mais manque de bol : le fils est un vrai taré, qui en plus de sa phobie de la mer, cultive une paresse, une pleutrerie et un goût pour les mauvais coups absolument maladifs. Le fiston ira loin, puisqu'il trahira peu à peu toute sa famille, la plongeant dans la misère, la honte et jusqu'à la mort, pour les beaux yeux d'une pute et le plaisir facile d'une partie de dés avec Gwenn-la-Taupe. Tordage de mains par désespoir, couvent, malédiction paternelle et basse félonie sont au programme de ce grrrrrrand drrrrrrrrrrame qui a pour toile de fond les vastes paysages arides de la Bretagne profonde, ses menhirs, ses conques et ses bières mousseuses.
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Oublions cette trame plus marrante qu'autre chose une fois qu'on a compris que L'Herbier ne nous épargnera rien des malheurs de cette damnée famille. Peut-être lui-même pas très convaincu par le fond, il décide de nous offrir une forme qui transcende complètement la chose. L'idée la plus marquante, ce sont les intertitres : le gars a une imagination débordante pour les disposer dans son écran, les rendre dynamiques, partie prenante du déroulé du film, si bien qu'on a l'impression d'un livre d'images où la littérature a autant sa place que l'illustration. En usant de mille stratagèmes (caches, surimpressions, petits volets, fondus enchainés...), L'Herbier organise un véritable spectacle où les mots prennent place concrètement dans les décors. Ça dynamise bougrement le film, qui se suit comme une succession d'images (d'Epinal, mais ça a son charme) plus que comme un véritable film, une suite de tableaux édifiants pour éduquer les masses au sens du travail et au dégoût de la débauche. Mais même dans l'image pure, le cinéaste ne manque pas d'idées : son film, hyper fluide, reste toujours lisible malgré des tentatives de montage parallèle ou de plans en split-screen. La coloration de la pellicule lui permet de varier les décors, et de réussir quelques scènes de foule (la beuverie à l'auberge) vraiment impressionnantes. Totalement maîtrisé, le récit multiplie les personnages et les événements en restant simple et droit. Le lyrisme (parfois poussé jusqu'à l'emphase) est exprimé par de splendides plans sur la mer, dans lesquels L'Herbier place ses acteurs comme face à la nature immense. Un vrai souffle se dégage de tout ça, et on ressort avec des embruns sur le visage et un goût de kouign-aman dans la bouche. Super.
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