Border (Gräns) d'Ali Abbasi - 2018
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Difficile de trouver une cohérence dans la filmographie d'Ali Abbasi pour l'instant, tant notre compère s'amuse à systématiquement déjouer nos attentes. On ne l'attendait certes pas, en tout cas, du côté du fantastique et de la fable. C'est pourquoi Border nous tombe sur le râble sans qu'on lait vu venir, et que c'est plutôt bien agréable. C'est coton d'écrire dessus, les surprises du scénario constituant la plus grande part du plaisir. Je me garderai donc bien de dévoiler les tenants et les aboutissants de cette trame improbable, et mentionnerai simplement ce personnage principal singulier, vraiment borderline, dont le film tente de nous raconter le destin. Tina est laide, d'une laideur de bête sauvage, comparaison d'autant plus pertinente qu'elle est dotée d'un odorat et d'un sixième sens exceptionnels, qualités qui la rendent indispensable dans son job : douanière, elle vous dégote en un froncement de narine les trafiquants de drogue et les violeurs d'enfant. Mais un jour elle rencontre Vore, garçon au physique proche du sien, qui va l'initier, dans un mélange d'histoire d'amour fou et d'apprentissage, à sa véritable nature.
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Abbasi y va franc jeu dans le malaise et dans le titillement de son spectateur. Il faut voir nos deux amoureux baiser comme des lapins à travers une sexualité torve, transgenre, filmée frontalement et sans complexe par le cinéaste : on éprouve du dégoût et on a honte d'être dégoûté tout à la fois, on se tortille sur son siège et pourtant on sent bien que, dans cette représentation bestiale de la sexualité, Abbasi touche juste, arrive à parler crument d'une passion. Il filme tout simplement la joie de l'amour, le plaisir de baiser, de se découvrir un corps, et c'est simplement la laideur des personnages qui fait barrière à notre jugement moral. C'est très malin. Jouant habilement sur les codes de l'identité, du représentable, il reste dans les codes du film réaliste, ne se laissant jamais aller au merveilleux pur ; et pourtant le fond du film est fantastique, flirtant avec la mythologie et la légende. Il parvient en tout cas à fabriquer une poésie étrange, en montrant la laideur : c'est dans le rapport avec la nature (la sienne et celle extérieure) que le personnage va comprendre qui il est, et que le film va trouver son ton si singulier. En cherchant ses origines, en voulant comprendre sa "différence", Tina tombe sur ce qui la sépare des autres, ce qui l'ostracise purement et simplement.
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Le film n'est pas parfait. Il est même un peu ennuyeux quand il charge sa trame déjà bien fournie d'une intrigue policière inutile, ou quand il appuie un peu trop fort sur le personnage de Ove, moins beau que celui de Tina. Mais dans cette façon de déployer tout un inventaire du moche, du malsain, du glauque, et de nous séduire quand même, Abbasi est vraiment audacieux : il prend le risque de nous faire quitter la salle, pour mieux, au bout du bout de cette histoire cafardeuse, nous cueillir par son regard, par l'écriture fine de son scénario, par les surprises qu'il ménage. Border clame que l'amour doit être partagé par tous, qu'il faut en finir avec la binarité des genres (et ici, il faut aller chercher bien loin la notion de genre), que l'altérité peut être une force et une beauté. On connait plus moche message.