Only the River Flows (河边的错误) de Wei Shujun - 2024
Sympathique petit polar dans la désormais incontournable Chine-envahie-par-la-pluie, Only the River flows n'a comme défaut que d'arriver après tous les autres polars chinois sous la pluie, et à ce titre d'être un peu usé. On se dit que la météo du pays n'est guère variée, ou que les serial-killers doivent sûrement attendre un temps de chien pour se livrer à leurs activités, curieuse tendance. Bon, soyons honnêtes : ce Wei Shujun ne démérite aucunement dans ce genre très codé aux étapes obligatoires, et livre même un film souvent intéressant par sa symbolique et sa vision tordue de la réalité. La première séquence donne le ton : un môme déguisé en flic poursuit une bande de gamins dans les couloirs d'un bâtiment en chantier, il ouvre une porte, crac elle donne sur le vide, ou plutôt sur le film qu'on est en train de regarder, comme si tout ce qui suivait était une émanation de son imagination. Belle façon de rentrer dans un film qui va volontiers nous amener dans l'onirisme, l'abstraction, le décalé.
Trombes d'eau et sempiternel pays en travaux au programme, donc, sur les traces d'un flic chargé d'enquêter sur un meurtre sordide : une petite vieille sans histoire a été assassinée, et les suspects sont pléthore, entre le handicapé mental qu'elle avait recueilli, le coiffeur chelou, le professeur de poésie qui a jonché le lieu du crime d'indices, sa fiancée au rôle un peu flou. L'enquête est menée en due forme, mais petit à petit, le film nous souffle des éléments plus troublants qui montrent que tout ne va pas se dérouler dans le réalisme le plus cru. A partir de l'installation de l'équipe d'enquêteurs dans un cinéma désaffecté (jolie idée, qui va déboucher sur un final "méta" très poétique), Wei sème les indices lynchiens d'une possible folie du flic, ou en tout cas de celle du monde : un innocent qui veut qu'on l'arrête, un flic qui prête sa veste à un fou pour qu'il joue à la faire couler, un cadavre qui tombe littéralement du ciel, une cassette qui dit des poèmes, un passé qui semble échapper au flic, des pièces de puzzle volées puis retrouvées comme par miracle, un commissaire fan de ping-pong... Le monde de Ma Zhe vrille peu à peu dans une atmosphère étrange, l'enquête se délite. Au tournant du film, un plan-séquence virtuose fait carrément entrer cette histoire dans l'onirisme, jusqu'à abandonner complètement toute trace de logique dans le déroulé du scénario. D'où une fin mystérieuse, joliment troussée mais bien barrée également.
Il faut bien le dire : le film est le même que tous ceux qui l'ont précédé. Les réalisateurs chinois ont semble-t-il compris que leurs films auraient du succès à l'international s'ils teintaient leur goût pour le polar glauque d'une sorte de surréalisme et d'étrangeté dépaysante : Wei Shujun dit banco, et charge bien sa mule. On fatigue un peu devant ces intrigues laissées en friche, ces plans symbolico-poétiques qui n'existent plus que pour eux-mêmes, cette volonté coûte que coûte de sortir du réel, quitte à décevoir du côté polar. Ce film sort du lot uniquement grâce au savoir-faire du réalisateur, qui sait rendre ses plans poétiques, inquiétants, qui soigne ses effets (cette caméra en feu, par exemple). En bref, Wei a le sens du cinéma et du cadre, et soigne aussi bien ses rythmes ouatés que ses images parfois marquantes. Mais il serait peut-être bon, dirais-je de mon petit point de vue occidental, que les Chinois se renouvellent un peu dans leur imagerie, qui semble être partagée par tous (jusque dans les titres des films) jusqu'à saturation.