Noël à Miller's Point (Christmas Eve in Miller's Point) (2024) de Tyler Taormina
Tout comme son précédent film (Ham on rye) déjà encensé par Les Cahiers (vous savez cette ancienne officine de glorieux cinéastes - eh bien, si, elle existe encore), ce Noël de Taormina me laisse mi-séduit mi-pantois. Séduit, parce que oui, il y a une vraie patte chez Taormina pour décrire cette fameuse soirée Noël éternelle (qui se situe, ici, vaguement dans les années 2000 - avant l'esclavage envers le Dieu Samsung) plus éclatée qu'éclatante, le cinéaste étant capable de s'intéresser, de nous intéresser, à ces deux milles petits personnages de la même famille (j'exagère à peine au niveau du nombre - cela diffère sensiblement de mes propres réunions familiales, ma mère étant morte et ayant tué mon père), large communauté qui se réunit le temps des fêtes. Il y a, chez notre jeune ami cinéaste, un vrai souci de l'écriture, un vrai sens du détail (l'oncle ou la tante qui se dandinent pour faire marrer la compagnie, la petite fille qui descend les escaliers sur les fesses et que capte subrepticement cette caméra constamment en mouvement, cette adolescente au regard un peu hagard qui se perd dans les étoiles...) et l'on suit sans déplaisir ces différents moments de la fête : le soupir poussé avant d'ouvrir la porte, la joie plus ou moins extatique de finalement retrouver tout le monde, les distributions de cadeaux merdiques qui font quand même la joie des plus petits, les souvenirs que l'on lit dans les regards de l'assemblée réunie autour d'une cassette VHS évoquant des réunions familiales passées... On apprécie de même, tout autant, cette façon de montrer, chemin faisant, les différentes générations qui finissent, par la force des choses, par se retrouver ensemble : les adultes (l'inéluctable discussion sur les responsabilités à prendre : qui va s'occuper de mère-grand ?), les ados (qui se font la malle et se retrouvent entre potes, voire avec amoureux d'un soir), les gamins (des étincelles toujours pleins les yeux)... Que du positif, me direz-vous, alors quoi ? On regrette sans doute simplement un fil rouge un peu plus ténu et cette impression lancinante de plus voguer sur cette fête que de nous sentir vraiment concerné par celle-ci. Bon.
Il est clair que sans grandes scènes fortes, sans personnages se démarquant vraiment, sans surplus d'émotion, on passe cette soirée de Noël en flottant littéralement un peu au-dessus de cette œuvre, tel un petit nuage neigeux et capricieux. Pourtant, on reconnaît une certaine finesse à évoquer, en cette soirée spéciale, cette société de consommation qui n'est certes que ce qu'elle, ce subtil choix des couleurs qui nous rend toujours la chose relativement chaleureuse, ou encore ces petites scènes touchantes qui ne cherchent jamais à trop en faire (une donzelle patinant de nuit sous le regard silencieux de ses pairs, ces couples qui se forment soudainement, alors que tombent quelques flocons de neige, le temps d'un soir et d'un acoquinement (ou non) dans une bagnole prévue à cet effet, ces adolescents célébrant leur amitié en en riant, deux flics tout droit sortis d'un Guiraudie ou d'un Coen qui se font très pince sans rire...). Malgré cela, on referme le film comme un beau livre d'images qui nous a permis, par procuration, de revivre ces petits instants précieux de cette nuitée si particulière, en le rangeant tranquillement dans une étagère du bas qui risque, fatalement, de se couvrir de poussière. Bel effort pour ce cinéaste bien entouré et relativement avisé (il fait jouer quand même dans son film les gamins de Spielberg et Scorsese : pas folle, la bête), on attend cependant encore confirmation au trimestre suivant. L'essentiel restant que cela nous fait enfin un film en "N" pour 2024...