LIVRE : Marc de Benjamin Stock - 2024
Comme tous les ans, je me tape le Prix de Flore, une des valeurs (à peu près) sûres de la littérature actuelle, et ceci malgré mes erreurs de prédictions (j'avais parié sur le formidable Une Trajectoire exemplaire). Cette année le jury a préféré le fond à la forme, bon, moi c'est un peu l'inverse mais je veux bien. D'autant que Marc, malgré ses nombreux défauts, a le mérite d'être original et de traiter un sujet intéressant : le snobisme en littérature. Soit donc David, brave loser ordinaire incapable d'accepter le monde tel qu'il est, bullshit-jobeur dans une entreprise dont il ignore les activités, ayant transformé ses tendances réac et cyniques en règles de vie, est un intellectuel n'aimant rien de plus que de converser sur les nuances d'un texte ou les intentions cachées de Spinoza. Voulant draguer une collègue de travail, et découvrant qu'elle est une fervente lectrice de Marc Lévy, il se met à lire lui-même cet auteur considéré dans son milieu comme la onzième plaie d'Egypte. Guidé par sa muse, il va découvrir non seulement qu'il y prend du plaisir, mais également qu'il y a dans l’œuvre de cet auteur tout un système de codes, d'injonctions, de positionnements politiques, d'incitation à la violence armée, de subtilités ésotériques et historiques, complètement ignorés du public, et que seuls peuvent entrevoir une poignée d'initiés. Il va donc pénétrer ce monde obscur, et aller tranquillement vers ce que lui dicte son nouveau maître à penser littéraire : l'action.
Le livre réussit le pari de traiter deux thèmes à priori opposés : 1/ le snobisme, donc. David trouve en Marc Lévy une échappatoire possible à sa vie qui lui échappe, qui lui semble trop pauvre, qui manque de sincérité. Convaincu d'être un intellectuel de bon goût, il découvre tout un pan de la vie qu'il ignorait en la personne de Lévy et de ses adeptes, joyeuse bande d'allumés adeptes de la sorcellerie ou de la numérologie ; et il s'en trouve sauvé, trouvant in extremis un sens à sa vie. 2/ la subjectivité du lecteur. Trouver dans Et si c'était vrai des codes et des lectures possibles, après tout, c'est une question de point de vue, et Stock montre avec talent que tout est affaire de sensibilité dans l'abord d'un texte : on peut y voir ce qu'on veut, on peut faire dire ce qu'on veut à l'auteur, on peut y trouver, selon son humeur et ses attentes, des réponses inattendues à ses questions. Intéressants sujets, que le livre traite par l'humour, certes, mais un humour assez effrayant au fur et à mesure des pages. Guidé par Lévy, David va vers les extrêmes, et peu à peu le rire s'étrangle. La fin, très surprenante et vraiment réussie, plonge même vers la violence complète, alors que les deux premiers tiers étaient plutôt légers. On le lit, en fait, comme David lit Lévy : dubitatif, agacé, diverti, et tout à coup renversé. Dommage que cette histoire soit desservie par un style lourdaud, maladroit : le livre est mille fois trop long, accumule les vannes et les situations un peu ringardes, est simpliste dans les personnages et pour tout dire pas très pertinent. Concentré sur sa folle histoire, Stock oublie d'essayer de rendre ça crédible (son histoire d’amour boiteuse notamment), laisse les personnages en friche, multiplie les petites scènes absurdes qui font perdre de vue l'intérêt de la trame. Il y va fort notamment sur le protagoniste, très agaçant avec son cynisme irrécupérable : à personnage antipathique, roman qui le devient aussi. On n'aime pas aimer Marc, mais on finit par en aimer le discours, qui nous secoue un peu dans nos convictions bourgeoises de lecteur.