Sur la Terre (Chijo) (1957) de Kōzaburō Yoshimura
Je crois qu'il n'y a pas à tortiller, il faut se rendre à l'évidence : je demeure un fan absolu du cinéma nippon des fifties (et des forties, des thirties et des sixties, oui, c'est vrai aussi). Rien que la couleur verte de ce tramway (aussi inimitable que celui des oiseaux de Magritte - je sais de quoi je parle, bordel, je reviens de Bruxelles) m'a tout simplement mis en extase ; quant aux scènes nocturnes, mettant en scène nos deux amoureux fuyant la chiennerie de la vie, je ne m'en remettrai proprement jamais... Mais revenons peut-être à la trame : derrière ce titre français on ne peut plus terre-à-terre, se cache l'histoire des amours (contrariées) d'un jeune homme ; c'est toujours les mêmes problèmes : il y a la femme qu'on aime, mais qui demeure inaccessible (d'un point de vue sociale, ici, l'amour sentimental étant, lui, partagé) et les femmes qui vous aiment (plus ou moins en secret) mais que l'on ne remarque point (ou trop tard) parce qu'ils sont justement secrets, par trop timides, ou tout simplement parce que l'on est resté trop focalisé sur ce putain d'amour impossible... Oka, c'est son nom, jeune étudiant sans le sous, sans père, tombe amoureux de la riche héritière de l'usine de poterie (superbe Hitomi Nozoe avec ses yeux de biche)... Seulement voilà, en ces temps-là (l'ère Taisho... (1912-1926) bande d'incultes !) (mais est-ce que cela a bien changé ?), il est inconcevable que deux classes aussi opposées puissent s'allier... sauf à tenter la fuite... tout autant inconcevable... Un amour, donc, voué à l'échec, à être coupé à la racine... Les temps, pourtant, sont tumultueux, la colère gronde (notamment dans cette usine de poterie, justement, où les syndicats s'organisent), mais peut-on vraiment, dans ce Japon sclérosé, attendre un quelconque changement, une révolution ? On n'est point en Russie, bonnes gens, et les traditions (familiales ou sociales) ont encore de beaux jours devant eux...
Oka, et c'est peut-être là aussi drame, pourrait voir l'amour que lui portent une jeune Geisha ou encore la sœur d'un camarade... Mais, foin, rien n'y fait, dans cette œuvre où les individus semblent prêts à sacrifier leur bonheur : soit heureuse ou heureux sans moi... alors même que ce bonheur ne pouvait résolument être obtenu que dans cette vie à deux... Enfoiré de grand architecte de ce monde qui semble se complaire à faire se rencontrer des individus qui s'aiment avant de dresser des barrières idiotes sur leur chemin... Si la liesse sentimentale n'est point au rendez-vous, cela nous donne bienheureusement quelques magnifiques scènes amoureuses : scène de rencontre où la timidité des jeunes amants les empêche de se regarder dans les yeux alors même que tout crie cet amour partagé (nos deux jeunes gens, filmés séparément, de dos, laissant entrevoir, chez elle, uniquement les pointes de ses cils - c'est juste sublime) ; scène de retrouvailles, où les mains s'effleurent, puis se touchent, puis les lèvres, de même ; scène de séparation où, pire que le quai d'une gare (grand classique) on se retrouve à courir après un train qui traverse la campagne à pleine vitesse (scène déchirante qui m'a fait mordre mon oreiller et m'a couvert de plumes d'oie). Si, avouons-le, ces multiples histoires d'amour peinent à se mettre en place, si le round d'observation est parfois un peu long, lorsque ces amours éclatent en plein jour, on se retrouvent cueilli comme une cerise trop mûre... Des histoires avortées, une révolution mâtée, des espoirs ruinés mais malgré tout des images fugaces d'un bonheur suspendu qui restent gravés, en chacun des personnages, mais aussi en nous, à jamais. Il est définitivement bien beau ce cinéma japonais. Kōzaburō Yoshimura, un nouveau combat s'annonce... pour découvrir ses multiples œuvres.