La Cité sous la mer (City Beneath the Sea) de Budd Boetticher - 1953
Vrai plaisir démodé que de se laisser aller à l'un de ces petits films d'aventure sans ambition mais solidement fabriqués, qui vous emmènent de risques zépoustouflants en amourettes glamourissimes. Boetticher est votre homme si vous avez décidé de passer les 77 prochaines minutes dans une atmosphère ensoleillée (Kingston, sa chaleur, ses jolies filles dévêtues, ses rites vaudous), et sans trop vous prendre la tête côté style. On a en effet connu le bougre plus affuté dans les ambiances et les personnages, notamment dans ses westerns ; mais il y a bien encore quelques traces de personnalité dans ce divertissement de dimanche soir, et même quelques traces de western dans ce scénario. Enlevez les chapeaux et les chevaux, changez-les pour des scaphandres et des rafiots, et c'est la même chose : deux potes plongeurs sont engagés pour retrouver un bateau qui a coulé au large de la Jamaïque, avec à son bord un million de dollars en or. Ce qu'ils ignorent, c'est que le bateau en question ne repose pas du tout à l'endroit indiqué par le plan ; le capitaine l'a fait couler ailleurs, dans l'intention de le retrouver plus tard et d'empocher le magot. D'abord solidaires et copains comme cochons, nos deux héros vont se séparer quelque peu face à deux plans opposés : l'un (Robert Ryan, droit et fier, viril et pas tout à fait à l'aise semble-t-il dans son scaphandre) est honnête et veut restituer le trésor à l'armateur, puis épouser la gorette sage comme une image rencontrée à l'occasion ; l'autre (Anthony Queen, rigolard et bagarreur, hédoniste et beaucoup plus convaincant) veut bien fricoter avec les voyous et tirer tout ce qu'il peut de ce trésor inespéré. Ajoutez à ça que le bateau repose en pleine cité engloutie, que celle-ci a la réputation d'être hantée, et que les autochtones ne rigolent pas avec les croyances. Un trésor, deux mercenaires, des bandits, une cité-fantôme : pas très différent du western, n'est-il ?
On suit la chose avec un plaisir total, enchanté par ces scènes subaquatiques aux trucages délicieusement démodés : on voit même des poissons rouges, visiblement pris dans un aquarium, mais grossis comme des cachalots pour les rendre plus fascinants. Derrière eux s'agitent avec la lenteur des profondeurs nos deux acteurs : les scènes d'action sont joliment freinés par l'eau, et deviennent très mystérieuses, quand la cité maudite se réveille, notamment, et que des pierres tombent au ralenti sur nos héros. A la surface, Boetticher développe de mignonnes histoires d'amour et de bagarre : si le duo Ryan-Mala Powers fonctionne moyen, celui composé de Quinn et la splendide Suzan Ball est très drôle, avec ces clichés bon enfant sur le couple (lui fuit le mariage, elle veut lui mettre le grappin dessus). Le scénario, bien construit, ne laisse aucun temps mort, regorge de scènes d'action et de moments de tension, mais malgré ça on voit se développer une intéressante relation entre les deux héros, faite d'amitié indéfectible, de complicité, de goût pour l'action, de bienveillance, même quand ils s'engueulent. C'est le petit plus qu'a toujours Boetticher, ce goût pour l'humain qui transparait même dans des films de commande un peu impersonnels comme celui-là : on voit toujours des caractères, des petits traits de personnalité, des détails psychologiques discrets, une observation amoureuse des détails (qui passe ici dans la façon de fumer de Quinn, par exemple, ou dans le petit signe qu'ils se font l'un l'autre au moment de plonger). Il y a même une petite chanson très sexy, une bagarre dans un bar, quelques répliques sympathiques ("Et moi, je fais quoi ?", demande une pimbêche à Ryan qui la délaisse ; "Continue à parler, ça chasse la fumée", répond-il avec beaucoup d'élégance), des bananes et des transparences vintage, c'est du bonheur.