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11 novembre 2024

Juré n°2 (Juror #2) de Clint Eastwood - 2024

On n'y croyait pas, tant notre Eastwood approche l'âge canonique et tant ses derniers films étaient ratés ; c'est donc un miracle : revoilà notre Clint adoré, celui qu'on aime, le classique, le droit dans ses bottes, le classieux Clint, le Clint tourbé. A 94 ans, il nous offre un film d'une élégance supérieure, un de ces petits trucs à la True Crime, à la Blood Work, qui nous donne immédiatement envie d'épouser le gusse. Oui, il est bien là, avec ses qualités et ses défauts, et on retrouve le compère avec un plaisir total, ravi de son conservatisme formel autant que de son moralisme 100% américain. Possédant la grammaire classique du cinéma sur le bout des doigts, Eastwood ne s'amuse pas à en faire étalage : on sent bien qu'il n'use que de trois ou quatre figures de style, toujours les mêmes, et qu'elles sont plutôt portées sur le champ-contrechamp ou le léger recadrage discret que sur la pyrotechnie ou l'acrobatie. Ici, un montage parallèle entre deux plaidoiries contradictoires semble être le grand max qu'il s'accorde. Il rougirait presque de son audace quand il part pour un petit travelling ou quand il se permet une coupe inattendue. Mais c'est ce qu'on aime chez lui : son absence de formalisme est une élégance, et on aime ce côté fordesque dans son filmage, cette sobriété qui le raccroche aux grands cinéastes On pourrait penser que le film est fade, mais au contraire : il montre un gars au sommet de sa maîtrise, n'ayant plus rien à prouver en ce qui concerne le savoir-faire, un cinéaste au service de l'histoire et des acteurs. Le film est parfaitement géré par ses techniciens : même si les grands qui ont accompagné Clint dans sa carrière sont tous en EHPAD, il s'entoure de solides gaillards qui excellent dans leurs catégories, photo, musique, décor : on est devant Juré n° 2 comme devant sa cheminée avec un bon plaid, prêt à se laisser raconter une histoire.

Et une histoire, il en a une excellente. Bon, pas très vraisemblable, certes ; mais une fois que vous passez la barrière du "what the fuck" et que vous acceptez le postulat, vous partez pour deux heures haletantes, pleines de suspense, et comportant leur dose de questionnement éthique et de dilemmes moraux. Un juré pense devoir assister au procès d'un féminicide ; il se rend compte qu'il est lui-même impliqué dans le meurtre. Tout simplement diabolique. Car alors il lui reste peu de choix : soit se dénoncer et perdre tout ce qui fait sa vie ; soit accepter de condamner un innocent à la prison. Il va trouver une troisième voie : tenter de tout faire pour innocenter l'accusé tout en restant blanc comme neige. Commence alors la partie Twelve angry men du film, dans une écriture fine et passionnante qui nous renvoie à notre propre sens de la justice : que ferait-on à sa place ? Eastwood, bien aidé par son scénariste, excelle à augmenter la pression sur le gusse : impatience de ses collègues jurés, remises en cause de sa femme, impuissance de son pote avocat (le seul à être dans la confidence), et surtout  suspicion grandissante de l'autre grand personnage du film : Faith Killebrew, procureure pugnace qu'on pense d'abord prête à tout pour gagner son procès, mais qui peu à peu va intéresser à notre pauvre garçon. Fait extraordinaire : une femme joue bien dans un Eastwood. Ça n'arrive qu'avec quelques rares grandes comédiennes : en choisissant Toni Collette, il a trouvé une actrice remarquable, capable de dépasser même le personnage principal, joliment interprété par Nicholas Hoult. Dans un montage précis, qui culmine avec une dernière scène géniale découpée au taquet, Clint raconte son histoire, visiblement autant amusé que tourmenté par les choix cornéliens qu'il fait reposer sur son anti-héros. A la fois polar haletant, film de procès bien documenté, mélodrame touchant et portrait de personnages forts, Juré n°2 se suit passionnément, sans aucun temps mort (si on oublie les scènes avec Kiefer Sutherland, vraiment inutiles), et on est sidéré de découvrir que Clint avait encore ça sous la pédale. Il montre un gars absolument pétri de justice, passionné par l’égalité entre les hommes, mené par une morale sans faille : un très beau Eastwood digne et sentimental, moi je dis vivement le prochain. (Gols 07/11/24)

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Clint Eastwood aurait-il un problème freudien avec les ponts, ces zones intermédiaires ? Il ne s'agit point ici d'un drôle d'endroit pour une rencontre mais d'un putain endroit pour trouver la mort... Le responsable de cet "accident" (la pluie, la nuit, l'esprit occupé...), notre fameux Juré no2, va donc se retrouver entre deux rives : être lâche et laisser un innocent être inculpé ou se dénoncer et bousiller sa vie. Il va choisir, en effet, un éternel entre-deux qui ne peut contenter que lui-même... Gols a noté le peu d’esbroufe au niveau formel, la tempête sous le crâne qui s'empare aussi bien de notre personnage principal que de l'excellente Toni Collette en procureure ; on pourrait tout autant souligner l'absence de gras (l'histoire se concentre formidablement sur sa trame) ou celle de symboles (si ce n'est quelques plans sur cette balance de la justice qui n'a de cesse d'osciller dans le vent ou cette couleur verte (celle de la voiture) qui envahit (la porte, les vêtements...) ce dernier plan couperet - le vert, couleur de l'espoir ou de son contraire ?)

Tout est forcément ici question de conscience, sujet pas franchement spectaculaire en soi mais évoquée ici avec une immense rigueur par le maître Eastwood. Bien que notre héros ne se sente point coupable (un accident bien bêta tout de même...), le regard que les autres posent sur lui le rendent forcément fébrile - on comprend rapidement que le poids de son passé pèse aussi lourd que celui de l'accusé et que tout devrait pousser notre héros à ressentir de l'empathie envers lui... Mais peut-on se risquer à ruiner sa propre vie quand on a déjà été par le passé au bord du gouffre ?... Quant à notre procureure, bien qu'elle ait tout à gagner à voir l'accusé condamné, le regard que porte sur elle l'avocat de la défense finit forcément par la rendre tout autant quelque peu fébrile - on comprend rapidement que sa réussite personnelle est sa motivation première... Mais conscience sans bonne conscience (si je puis me permettre une petite déviation) est tout autant ruine de l'âme... C'est sobre, propre, mathématique, le "moraliste" Eastwood jouant ici en effet sur du velours : être juste, (et cela est valable pour tous les jurés... comme pour la procureure), n'est-ce pas être capable, avant tout, d'oublier ses a priori, ses propres convictions, et surtout, finalement, ses propres intérêts ?... Un cinéma carré, un cinéaste droit dans ses bottes d'ex cow-boy : une véritable sagesse d'ancêtre du cinéma.  (Shang 11/11/24)

All Clint is good, here

Commentaires
V
Est-ce que cela ne rappelle pas beaucoup "Le 7ème juré" de Lautner ?
Répondre
V
C'est vrai que le postulat est similaire : le vrai coupable qui se retrouve dans le jury. Mais il me semble que "Juré n° 2" s'intéresse avant tout au dilemme moral des personnages (Hoult et Collette), alors que "Le Septième Juré", même si Bernard Blier se débat avec sa conscience, traite surtout de la justice de classe. C'est plus un pamphlet sur la bourgeoisie de province.
G
Ah, je ne l'ai pas vu.
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