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1 novembre 2024

Joker : Folie à deux de Todd Phillips - 2024

Intéressante, intéressante, cette suite au block-buster, et même pour tout dire assez bluffante. On s'attendait après le show spectaculaire à une surenchère de la part de Phillips, ou au moins à un film qui suivrait gentiment les traces du premier pour faire rentrer du cash et capitaliser sur la popularité de ce méchant mythique qu'est le Joker. Eh bien il fait très exactement le contraire, dans un geste volontairement déceptif et quasi-punk. Phillips a l'air de lutter contre son succès précédent, et tente d'en pointer les ambiguïtés et les erreurs de lecture. Que les électeurs de Trump qui avaient fait du personnage le porte-parole d'un positionnement anti-système ravalent leur gilet jaune : le brave Arthur Fleck, désormais enfermé en prison pour ses méfaits, dégonfle façon baudruche et se montre dans toute sa médiocrité : simplet, nul, dangereux comme mon teckel, bête et sans éclat, le personnage est démonté par le réalisateur, à la manière dont un Debord démontait la société du spectacle. Il s'avère n'être qu'un crétin sans discours, enfermé dans son monde imaginaire, n'existant que par l'écho qu'une petite minorité populaire, pratiquement invisible dans le film, lui octroie, un statut de mythe qu'il est loin de mériter. Ces gens qui le soutiennent, qui en ont fait une légende, ils sont représentés par le personnage de Harley Quinzel, geekette mythomane et joueuse, pas dupe de son admiration pour le Joker, qui joue avec la fiction et la réalité : dès que ses fantasmes sont pris en défaut, elle retourne à l'anonymat et à l'indifférence.

Profondément déprimé, dénervé, morbide, le film joue non seulement scénaristiquement mais aussi formellement contre le premier opus : là où celui-ci était clinquant, coloré, pop, cette suite est grise, atonale, sans action. Elle se joue pratiquement entièrement dans les quatre murs de la prison ou du tribunal où Fleck assure pitoyablement sa défense, rendant à son discours soit-disant politique toute sa vanité et tout son vide. Phillips prend le risque insensé d'ennuyer son public, et il y réussit pleinement, juste pour lui montrer qu'il a eu tort de prendre un assassin pour un héros, dans une posture morale courageuse et culottée. Pour bien mettre à bas la société du spectacle qu'il fustige, il transforme la comédie musicale que le film pourrait être en une suite de chansons sans nerfs, à peine murmurées et chantées faux par Joaquin Phoenix et une Lady Gaga justement engagée pour son statut : on s'attend à ce que la diva pousse la chanson avec la puissance vocale qu'on lui connait ; elle fera le contraire, rendant ces pauvres chansonnettes à peine orchestrées minables, sans profondeur. Ce qu'on voit à la place du spectacle : un cabotin qui y croit encore, isolé dans la solitude de sa dépression et de sa folie. Phoenix est bien l'acteur idéal pour exprimer ça, et il est excellent avec ses grimaces too much qu'il s'entraine à produire dans la voiture avant son jugement, avec ses rires tonitruants aux moments les plus incongrus, avec la vraie folie qui s'empare de lui quand il se rend compte qu'il est désormais seul. Une folie qu'il partagea le temps de quelques scènes avec son amoureuse éphémère (le titre du film, directement en français, est très bien trouvé), mais dans laquelle il devra désormais vivre comme le pauvre con criminel qu'il est réellement. Phillips casse ses jouets avec une audace qui mérite le respect...

 

Commentaires
S
Je suis, sauf exception, hyper-allergique à la comédie musicale, mais il y a effectivement ici un traitement volontairement dégradé du genre, à rebrousse-poil et qui paraphe intelligemment le "message" général. Alors oui, nous nous retrouvons désormais avec un diptyque très convaincant (Scott Silver doit y être pour quelque chose). Sans compter que Phoenix en Joker, c'est un peu comme Dafoe chez Ferrara, un plaisir toujours reconduit.
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