Je n'oublie pas cette Nuit (Sono yo wa wasurenai) (1962) de Kôzaburô Yoshimura
On est décidément toujours aussi séduit par ces œuvres du gars Yoshimura, un cinéaste qui parvient à nous laisser à la fin de chacun de ses films avec un petit pincement au cœur. Ici, le prétexte de départ est certes loin d'être gai : un journaliste revient à Hiroshima (mon amour ? ta gueule) dix-sept ans plus tard ; il est en quête de traces du passé, d'effets seconds, un sujet un peu torve à bien y regarder tant notre journaliste semble vouloir absolument trouver quelque chose de croustillant, de signifiant pour son article (un bébé à six doigts ? où ça ? où ça ?)... Il se retrouve un brin dépité par l'ambiance générale de cette cité balnéaire (Hiroshima, un lieu où faire la bombe ? oups) où la jeunesse, dans les bars, sur la plage, ne pense, comme toute bonne jeunesse qui se respecte, qu'à s'amuser... Même les deux jeunes femmes qu'il croise et qui portent en elle des stigmates du passé sur le visage tentent apparemment de prendre la vie du bon côté. Diable... Tout n'est pas totalement perdu pour notre homme suant sang et eau dans son petit costard puisqu'il croise dans un bar une intrigante manageuse en la personne d'Ayako Wakao (toujours aussi délicieuse, oui). C'est le coup de foudre... Mais notre homme sera-t-il capable de voir cette fois au-delà des apparences ?
C'est un scénario des plus malins que celui du gars Yoshimura... Il semble prendre le contre-pied de toute idée reçue (Hiroshima ne peut être qu'un enfer : comment peut-on imaginer qu'une ville se remette d'un tel drame ? Ah ben non...) mais pour mieux nous y ramener... Notre journaliste fait son petit boulot de journaliste (visite du musée, des hôpitaux...), tente de mettre la main sur quelque chose de probant, de scandaleux (qu'en est-il des effets seconds, y'a t-il des études précises, des "cas"...) et fait chou blanc... Est-il aveugle ? Lorsqu'il tombe amoureux de Wakao, cette dernière, qui ne cache pas une certaine attirance envers lui, semble faire bien des mystères... Sera-t-il capable, cette fois-ci, d'avoir une réflexion un peu plus poussée sur son secret à elle ? Et ce secret, même une fois qu'il sera dévoilé, pourra-t-il vraiment en comprendre toute l'étendue, toute la signification ? A l'aide d'une bien jolie parabole (ces pierres qui datent de l'époque de la bombe, qui se cachent sous l'eau et qui sont... si friables), Wakao tentera de faire comprendre à notre petit journaliste ce qu'est véritablement Hiroshima - voire ce qu'elle est... A lui de déchiffrer les signes, en profondeur... Derrière l'insouciance de certaines images, la musique, des plus dramatiques, nous laisse entrevoir une brèche dans cette cité meurtrie qui tente, comme elle le peut, de "fermer ses blessures", toute proportion gardée tant les stigmates sont encore voyant (ce dôme qui se dresse encore fièrement, comme un souvenir pour l'éternité ; ces cieux tempétueux comme en souvenir de ; ces fumées d'usine en arrière plan du visage souriant de Wakao...)... De même, derrière des images d'une grâce évidente (nos deux tourtereaux cachés derrière une ombrelle sur un quai, leur déambulation dans la nuit, leur rencontre intime dans une chambre...), il ne faudrait pas faire totalement l'impasse sur les traumas profonds qui subsistent dans cette cité, meurtrie dans sa chair (tout comme celle de Wakao...) - ce n'est pas un simple article d'un journaliste envoyé par la capitale qui peut rendre compte de la réalité profonde. Un événement parviendra-t-il enfin le déciller ? A quel moment ? A quel prix ?... Une recherche, un amour, une déception finale ou une révélation fatale ? On n'oublie pas un Yoshimura.