Grand Tour (2024) de Miguel Gomes
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Il est des films qui, dirons-nous modestement, semblent avoir été faits pour nous (une balade en terre asiatique sous le prisme de Miguel Gomes, on est forcément impatient) et qui, lors de leur vision tant attendue, nous déçoivent lamentablement. Ce n'est bienheureusement par le cas de cette œuvre saluée par le prix de la mise en scène à Cannes (au moins un prix pas volé) qui m'a tout bonnement laissé sur un nuage deux heures durant - jusqu'au bout du bout du générique et encore après sur ma moto flottant dans la nuit de la cité albigeoise me remémorant alors... - chut, bordel. Miguel Gomes livre un film à la fois d'une simplicité déconcertante (un homme va de pays en pays pour échapper à sa fiancée... Le parcours de la fiancée, dans la seconde partie, est lui à son tour retracé) et d'une poésie troublante. Il mélange avec un art résolument subtil des images réelles des pays traversés (l'histoire est censée se dérouler en 1918 mais ce sont bien des images tournées à notre époque que l'on découvre - au temps de la pandémie notamment : sont ainsi incluses des images de spectacles divers en noir et blanc ou en couleur qui viennent dynamiser, donner de la profondeur au récit : il y a bien à la fois un voyage géographique et culturel, les deux se montrant sous un aspect souvent surprenants - on ferme la parenthèse) à des "reconstitutions" en studio de ces lieux mythiques (l'hôtel Raffles à Singapour - toute une époque...) ou à des paysages plus ou moins touffus, déroutants (un train renversé dans la jungle malaise ou une forêt de bambous en Chine - studios de Lisbonne et de Rome, apprend-on au générique, mais à quoi bon donner ces détails tant la magie du cinéma opère (même Gomes se permet lors d'une scène de faire un clin d’œil à cette magie)). Réalité et fiction intimement liées, rien de résolument révolutionnaire dans le principe mais c'est réalisé ici avec une telle symbiose entre ces deux mondes qu'on en est au final tout ébaubi.
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L'un fuit, se cache (ce magnifique chapeau japonais d'un ridicule sans nom mais si pratique pour naviguer incognito dans le monde - surtout quand on joue (mal) de la flute), se dérobe, se laisse porter au gré du vent, l'autre découvre, expérimente, prend malgré tout le temps de faire des rencontres, de s'intéresser au gens lors de cette quête (de l'impossible ?) ; si les aventures de l'un prennent des allures souvent spirituelles, voire presque métaphysiques (se perdre pour se perdre, avec des moines japonais pour le moins originaux ou en se laissant bercer par l'opium), les mésaventures de l'autre prennent souvent un visage plus humain : belle et tendre rencontre avec cette Vietnamienne aux propos et au sourire si apaisants, plaisir de la discussion avec ce père en transition... Aucune impression de redite dans ces deux trajectoires qui, même si elles passent par les mêmes points sur la cartes, semblent destinées à ne jamais pouvoir se rejoindre... Du coup, après avoir apprécié ce côté "voyage au bout de l'Asie" dans l'une, on apprécie tout autant ce second parcours qui, loin de chercher à vouloir brûler les étapes, donne du temps aux gens - avec des traits d'ailleurs souvent plus humoristiques ; Molly, loin d'être ravagée par le doute et la peur, ne s'amollit point mais profite de chaque pause, de chaque situation.
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A l'image de ce manège en ouverture, et ce bien que le rythme ne soit pas toujours trépidant, on entre dans ce tourbillon d'images, de sensations, de découvertes, dans ce grand tour du monde asiatique qui semble, de pays en pays, inépuisable... On va d'un point l'autre, en ne sachant jamais quel aspect Gomes mettra en relief mais en appréciant toujours la poésie qui finit par se dégager dans tel ou tel endroit : de ce noir et blanc vintage, de cette vague musicale (le ballet, pardon la valse des mobs à Saïgon), de ces vapeurs coloniales d'un autre temps, de ces jardins secrets (la fleur de lotus, pas rien tout de même...), de ces phrases intemporelles lâchées incidemment (l'Occidental ne pourra jamais vraiment comprendre l'Asie - je plussoie). On se laisse porter par ce labyrinthe de sensations, par ces accidents de la vie, par ces petits bouts de représentation (de la marionnette au kung-fu, il y a à boire et à manger), en se disant que Gomes nous offre un ticket exotique vers un ailleurs que les images soient tournées in situ ou en studio : qu'importe le flacon, l'ivresse du dépaysement nous emporte. Un tour (de magie) de grand (cinéaste). (Shang - 29/11/24)
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Pure merveille que ce film, qui semble façonné de la sève dont on fait les rêves, qui substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs, comme dit l'autre, un film de cinéma au sens le plus pur du terme. Film errant, flâneur, rêveur, qui fantasme une Asie vue par le regard de deux Européens aussi intrigués qu'amusés par les mœurs, la faune et les paysages des pays traversés, qui en fait un territoire aussi mystérieux que magique, et qui traduit cette attirance étrange par une artificialité purement cinématographique : l'alternance des plans entre vrais cadres documentaires sur place et reconstitutions en studio fait le lien entre réalité et cinéma, entre carton-pâte et pâte humaine. On se retrouve plongé dans un monde dépaysant, et ce dépaysement est autant dû à l'Asie qu'au cinéma. Le voyage, du coup, est autant géographique que mental, aussi cinématographique que temporel ; un voyage total, qui nous fait éprouver quelque chose du trouble de se trouver dans un milieu qu'on ne comprend pas. Le regard que Gomes pose sur l'Asie est un regard d'étranger (de colon ? le choix de la date à laquelle se situe le film pourrait l'induire...), presque un regard touristique : on accroche au hasard, au gré des déambulations, des images en couleurs ou en noir et blanc, des petits détails singuliers, des grands tableaux, des gens ou des animaux, des choses ou des anecdotes, des bouts de culture, des souvenirs personnels. Gomes dispose tout ça dans un désordre savamment pensé, reliant son film à une certaine forme d'amateurisme, de non-maîtrise. Mais il le lie aussi par un sens extraordinaire du cadre, de la durée des plans, et avec une histoire soigneusement travaillée (un chassé et une chasseur traversent les mêmes lieux, mus par des émotions différentes) : comme un film amateur réalisé par un professionnel. Ce qui conduit le film en tout cas, c'est une émotion qui ne sa cache pas : c'est drôle, c'est romantique, c'est subtil, c'est tourmenté, c'est bouleversant au détour de quelques plans (l'homme qui chante "My way" puis qui s'assied en pleurant, le ténor qui chante dans l'orage, deux plans immortels), c'est léger et grave, joueur et d'une sincérité totale. Chef-d’œuvre, qui, une nouvelle fois, chamboule le classement 2024 de votre serviteur. (Gols - 11/01/24)
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