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10 novembre 2024

Les Feux sauvages (Feng liu yi dai) (2024) de Jia Zhang-ke

Rassembler différentes images, différentes chutes de tournage sur vingt ans pour livrer le portrait d'une héroïne, pour évoquer l'histoire d'un couple dans cette Chine en pleine mutation, ne serait-ce pas un projet digne de Lelouch ? Rassurez-vous tout de go, il s'agit bien là d'une oeuvre (mutante) de Jia Zhang-ke qui utilise une matière filmique protéiforme pour évoquer, comme d'habitude au passage, aussi bien les strates du temps que cette Chine en perpétuelle mutation. Qui pouvait mieux que Tao Zhao incarner ce personnage, un personnage taiseux, mutique, au petit sourire taquin et aux yeux éternellement pétillants même dans les instants de tristesse ? A travers cette véritable odyssée où l'on reconnaît les personnages incarnés par Tao Zhao et Zhubin Li et les ambiances pop du début des années 2000 de Plaisirs inconnus, où l'on traverse de façon fantomatique les décors de Still Life promis à l'engloutissement en raison du barrage des Trois Gorges, où l'on évoque A Touch of Sin ou Les Eternels avant de conclure par la période du Covid (Jia tournant pour la peine un segment inédit), période durant laquelle nos deux héros, vieillis, bâillonnés par leur masque, échangent, plus par leur regard que par la parole, un ultime signe de "reconnaissance", on a l'impression de traverser en accéléré (...) toute la filmographie du cinéaste.

Un cinéaste, encore et toujours, de peu de mots, un cinéaste de peu de trame (un couple se déchire, les deux personnages se séparent, faisant leur vie, faisant leur deal, puis se recroisent des regrets et des doutes plein les yeux) qui s'évertue comme d'habitude à montrer les évolutions technologiques de son temps (du téléphone de base à Tik Tok - quant à ce petit robot aussi mignon qu'un peu courge, dans la dernière partie, il semble symboliser à lui seul tout le désarroi d'une époque en voie de déshumanisation covidaire), à mettre en scène de nombreuses parties toutes en chansons (des podium cheap au karaoké) et en danse (ces grands espaces sans âme où les vieux viennent nostalgiquement valser...). S'il n'est pas si évident de pénétrer dans cette atmosphère (on oscille, dès le départ entre documentaire et fiction), on finit par se laisser porter par ce flux du temps comme notre héroïne esseulée remontant le Yangtsé au milieu de ces paysages et de ces bâtisses promis à la noyade. On oublie donc cette trame pour mieux se perdre dans les yeux d'une Zhao de plus en plus perdue, dans cette fuite en avant où les certitudes comme les repères sont voués à disparaître : seule la technologie semble, elle, progresser, seules les chansons semblent, elles, évoluer ; nos deux individus pleins d'énergie au départ se sont comme heurtés à des murs, comme heurtés l'un à l'autre (la scène répétitive et dure, dans le bus, quand notre héroïne tente d'en sortir et se retrouve systématiquement remise à sa place initiale par son mec), ont tenté de fuir, de trouver un second souffle avant de revenir à zéro, le moral au même niveau. Un voyage à la fois cinématographique, géographique et temporel entrepris par deux êtres qui errent dans ces couloirs du temps et récoltent au passage plus de rides que d'instants de joie. Un film somme (un peu sieste aussi), du Jia, plein comme un œuf, où la coquille humaine se fendille au fil de l'eau, au fil du temps.

Tout Jia, danke

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