LIVRE : Les Enchanteurs (The Enchanters) de James Ellroy - 2024

Troisième tome du quintette de Los Angeles qui permet de retrouver l'ex-flic détective privé et paria Freddy O., le roi des entourloupes et des enquêtes de fond. Ce n'est pas une surprise, tout le monde était déjà au courant, cet opus couvre l'année 1962 et la mort de Marilyn M. Nous voilà donc partis avec Freddy sur une enquête au long-cours à base d'écoutes, d'enlèvements foireux, de cambriolages à caractère sexuel, de passages à tabac, de bastons, de meurtres... Tout y passe... On est dans le "nouveau style Ellroy" avec une foultitude de personnages (malfrats, acteurs et actrices, monde du show-bizz, flics, petites frappes, obsédés sexuels...) et la volonté de livrer une enquête ultra fouillée, qui part dans de multiples directions - tout en étant assez répétitive : pour ne pas trop perdre le lecteur, sans doute, notre enquêteur revient sans cesse sur les mêmes éléments, fait des synthèses, interviewe plusieurs fois les mêmes personnages en rappelant leur passé, leur implication, etc... Bon, ok, très bien mais tout ce que l'on veut savoir au final, c'est qui a tué Marilyn, sachant que le gars Ellroy a des antennes partout et que lui seul est capable d'approcher enfin la vérité... Alors ?

Les pistes sont multiples (Freddy bosse pour le mafieux Hoffa avant d'être sous la tutelle des frères Kennedy - hum hum), les suspects nombreux (la mort de Marilyn est-elle simplement la conséquence de son passé trouble (et sa fréquentation d'individus peu fréquentables) ou de sa consommation de médocs (fournis par des psys et autres types borgnoles peu scrupuleux), est-elle en lien avec un enlèvement foireux qui a eu lieu le même jour que sa mort, est-elle dû à ce mystérieux satyre qui vient hanter les maisons de veuves, est-elle reliée avec un trafic de drogue et de bons du trésor en relation avec le Mexique...) et les ramifications diverses (par rapport à ce passé de femme "légère", par rapport à ce monde torve du cinoche et de la Fox, par rapport aux potentiels scandales politiques, par rapport aux histoires de cul (avec Orson Welles en photographe de jeu de cartes de baise ? Diable)... Bref, l'enquête patine, Freddy couche, flingue, s'enfonce progressivement dans les emmerdes et tente de sortir de ce merdier en bâtissant des hypothèses plus ou moins brillantes...

Alors oui, cette façon de multiplier les personnages, les travaux d'enquêtes de fond (qui mènent souvent dans l'impasse), de répéter sans cesse les mêmes obsessions peut paraître parfois un peu laborieuse. Le roman est long, oui, et même s'il fait tout pour ne pas trop nous perdre par ses multiples conjonctures, il peut aussi un peu lasser (où tout cela nous mène, putain !!!). On perd un peu, par rapport à d'autres bouquins du sieur, en atmosphère vintage (les sixties, les bars louches, les personnages évoqués dans toute leur profondeur...) et en mises en scène qui tiennent en haleine (les interventions ici sont traitées de façon souvent minimalistes : on réunit une bande de flics, on choppe le type, on lui pose deux trois questions - cela n'a pas vraiment tendance à virer à la course-poursuite ou à la scène de confrontation d'anthologie : on va le plus rapidement possible aux faits). On est, disons-le, un peu frustré, d'autant que dans la dernière ligne droite Ellroy se fait le devoir de nous faire une petite synthèse pour les nuls qui, en quelques paragraphes, résume simplement l'intrigue (ok, tout ça pour ça, donc...). Mais bon, reconnaissons tout de même qu'il reste un maître pour nous montrer toutes les ficelles politico-culturo-érotico-économico-flicardes de cette époque qu'il semble maîtriser comme sa poche et qu'il nous fait pénétrer avec art dans la tronche délirante de ce Freddy... Un peu roublard, sans doute, mais toujours minutieusement mis en scène et diaboliquement détaillé... On prend, donc, tout en étant point dupe sur certaines ficelles. Qui a tué Marilyn sinon ? Ohlala, vous vous montez trop la tête...