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26 décembre 2024

LIVRE : Mythologie du .12 de Célestin de Meêus - 2024

Décidément, les primo-romanciers, comme on dit, s'avancent en forme en cette rentrée 2024, et amènent un peu de style à la littérature assoupie de leurs aînés. Côté belge, voici Célestin de Meêus qui nous arrive avec un livre à l'intrigue simplissime et à l'écriture remarquable. Deux lignes parallèles et qui vont pourtant finir par se rencontrer au bout d'une nuit de cauchemar : d'un côté, deux adolescents désœuvrés, typiques de l'ennui profond du prolétariat de banlieue, qui fument et picolent sur un parking de ZEP ; de l'autre, un médecin crevé par sa journée, fragilisé par une séparation douloureuse, et qui ne rêve que d'une chose : rentrer dans sa belle propriété, et avoir enfin la paix face à son bois tranquille. Deux mondes qui ne sont pas faits pour se rencontrer, et qui vont pourtant le faire. Et sachant que le point placé avant le 12 dans Mythologie du .12 désigne un calibre de fusil, on imagine que cette rencontre ne va pas se faire dans la joie. Construction classique, donc : un chapitre consacré aux ados, puis un consacré au médecin, comme pour mieux renforcer la différence intrinsèque entre ces deux univers si proches et si loin en même temps. Et pour augmenter l'inéluctabilité du destin fatal (!), l'auteur fait un choix vraiment payant : de très longues phrases, ponctuées, rythmées, qui se développent en de complexes circonvolutions, presque d'un seul souffle. Quand arrive le point qui vient clore ces phrases, on a l'impression d'avoir fait un long voyage à l'intérieur d'une parole, d'un caractère de personnage, en un seul flow hyper-mesuré et précis. De Meêus n'est pas Luc Lang, n'est pas Mauvignier, il n'a pas encore la puissance formelle et la maîtrise totale de cette forme de style, mais il y vient : sa prose est impressionnante, et tout à fait justifiée pour donner un mouvement physique à la rencontre de ces personnages. Il en résulte un roman qui se lit bouche bée, d'une traite, une sorte de livre opératique et rythmé au taquet qui vous emmène tranquillement au dénouement tragique. Sur une histoire aussi tristement banale, c'est un exploit de savoir ainsi nous tenir prisonnier ; on sait ce qui va se passer, on le craint, on en repousse la finalité, mais le mouvement du livre nous y entraine façon siphon de lavabo. Comme de Meêus comprend de plus parfaitement la psyché de ces jeunes, leur morne vie sans éclat, leurs minuscules joies et leurs petitesses sans envergure, et comme il parvient également à dessiner un personnage de bourgeois tout à fait crédible, on finit par adorer ce livre, ambitieux et fort sur un sujet simple. (Gols 21/09/24)

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"(...) l’époque n’était certainement pas à l’insouciance ou à la naïveté, non, Rombouts n’était pas dupe, il fallait voir les choses en face, il suffisait d’ouvrir n’importe quel journal pour s’en rendre compte, cambriolages pillages et vols ne cessaient d’augmenter, sur les infrastructures publiques ou même privées, rien que cette année le rail avait perdu pour sept millions de câbles de cuivre, se rappela Rombouts, sept millions ! répéta-t-il intérieurement, quel gâchis !, oui, sans parler de la haine qui avançait à la vitesse grand V, la haine de tous envers tout le monde, les riches, le travail et le mérite, des discours populistes qui venaient attiser ces braises, des attentats et tous les actes de barbarie qui sévissaient de plus en plus, jour après jour, lardant la paix et la sécurité, le vivre-ensemble, le bien commun, non, l’époque n’était certainement pas à l’insouciance ou à la naïveté, il ne fallait pas prendre les choses à la légère, il fallait réagir, se dit Rombouts, et il sentit soudain une colère profonde et viscérale lui monter dans le corps, lui grimper tout le long de l’échine et lui serrer la gorge en passant par chaque membre et par chaque fibre musculaire, une colère qu’il ressentait parce que, précisément, il avait peur et se sentait victime, comme si on lui voulait du mal, oui, le docteur se sentait lésé, violé dans son intégrité, une bande de jeunes était entrée dans sa propriété, comme ça, sans gêne et sans vergogne, et ils étaient juste là, à le narguer, criant et hululant en pleine nuit, comme s’ils le provoquaient, comme s’ils se foutaient de lui, se dit le docteur, assailli par une vague de frustration de honte et de colère sans nom, puis il réentendit ces voix exploser de rire, cette fois c’en était trop, ils se foutent de ma gueule, prononça-t-il entre ses dents, les fils de pute !, sur quoi il termina son verre d’un trait, s’arrêta un instant, les yeux braqués sur un point vague de sa cuisine, sentit une pointe d’excitation lui chatouiller le creux du ventre, et sut alors exactement quoi faire".

 

Voilà comment, en faisant une (demi-)citation de l'auteur pré-cité, on parvient à écrire une chronique aussi longue que celle de Gols. Bon, même si c'est les fêtes et qu'on en a déjà gros de gras sur la patate et qu'on navigue avec un haut degré d'alcool dans le sang, on va quand même essayer de rajouter son petit grain de sel. En effet, on assiste là à l'exposition de deux mondes, l'un qui, las, monte en puissance (au niveau du ciboulot) sous l'effet du whisky et du vin blanc, l'autre qui, las, s'avachit et s'abêtit sous l'effet de la bière tiède et des pétards. Deux univers à l'opposé (l'un parvenu, l'autre en devenir) mais qui semblent tous les deux, en un sens, être plus ou moins parvenus au bout du rouleau... L'un des deux jeunes laisse vaquer son esprit sur les tatouages d'une fille aperçue la veille et dont il est raide dingue pendant que l'autre, lourdé depuis peu, se perd dans la mythologie grecque et la création de l'univers : deux jeunes un peu vaporeux, pas méchants, peace, un peu perdus dans cette forêt, s'accrochant désespérément à des chimères ; l'adulte, lui, mis sous tension, outre l'alcool, par un coup de fil rageur de son ex-femme, ne s'accroche plus qu'à sa putain de tranquillité honnêtement gagnée à la sueur de son front - merde quoi... De Meêus prend des chemins de traverse (ses biens longues et jolies phrases qui n'ont de cesse de bifurquer) pour les faire se rencontrer, finalement, ces deux univers, ces deux galaxies, ces deux trous noirs... On chemine en effet agréablement en sa compagnie jusqu'à ce coup de semonce, jusqu'à ce coup de théâtre, jusqu'à ce coup de dés de .12. Circonvolutions (grammaticales) et psychologies (tristement banales mais éminemment bien dessinées) sont au programme de ce premier roman (belge) d'un écrivain (en herbe) sachant écrire. (Shang 27/12/24)

 

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