Les Graines du Figuier sauvage (Daneh Anjeer Moghadas) (2024) de Mohammad Rasoulof
Il est bon de trouver en Rasoulof un digne héritier du cinéma iranien, celui qui par, le biais des images (celle de la télévision, des réseaux sociaux, des portables, de la vidéo), invite toujours à la réflexion sur le vrai du faux, la réalité et le mensonge, le réalisme cru et la mise en scène trompeuse.
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Au niveau de l'histoire, on pourrait se contenter de faire court : un père, "pas mauvais bougre" au premier abord (il pense aux siens), est promu au sein du système judiciaire iranien ; si rapidement il se rend compte qu'il n'a pas vraiment son mot à dire pour décider de telle ou telle sentence (il se doit d'appliquer les décisions d'en haut, même pour des peines de mort), son ascension au sein du système devrait permettre à sa famille d'accéder à un meilleur appart, et lui permettre un meilleur salaire... Seulement voilà, alors même que la rue gronde, et que sa petite famille est sommée de se tenir à carreau pour ne pas attirer l'attention sur la fonction "à risque" du père, la grogne et la contestation gagnent du terrain au sein même de ladite famille : l'aînée comme la benjamine, choquées par l'attaque d'une de leurs camarades et les images de violence contre les manifestants sur les réseaux, commencent à faire entendre leur petite voix dissidente face au père qui se voulait tout puissant. Lorsque l'arme du pater disparaît (oubli, vol ?), la situation commence à déraper...
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Il y a plusieurs choses qui nous ont gentiment épaté (si, ça se dit encore) dans cette œuvre qui commence, au niveau de la forme comme du fond, droite comme un i et qui, peu à peu, se laisse gangréner par le thriller tout en se plaisant à jouer sur la variété des sources des images. Tant qu'on est dans ce foyer, dans ces relations somme toute courtoises, respectueuses, au départ, on a droit à un filmage somme toute classique - du champ / contre-champ très propre, généralement... Puis, peu à peu, avec cette amie qui débarque sanglante dans ce foyer, avec ces images de violence qui via les écrans de téléphone s'immiscent dans l'appart, la tension va monter ; la perte de l'arme est un des premiers tournants du film qui va faire perdre quelque peu les pédales au pater, un pater dont l'autorité jusque-là relativement souveraine (une femme au service de deux filles au garde-à-vous) va se voir remise en cause : c'est l'aînée qui, la première, sonne la charge, en attendant peut-être que la benjamine passe la deuxième lame... Le film, comme le père, sort de ses "gonds", sort de cet appart et de la ville, la petite famille "trouvant refuge" dans la cambrousse, dans la maison familiale du pater. Un nouveau lieu de "cloisonnement" qui va très vite exploser de l'intérieur...
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Après les images retransmises par les portables (véritable fenêtre ouverte sur la réalité des massacres alors même que la télévision (d'état) était le lieu du déni), viennent celles enregistrées par cette caméra vidéo qui filme les "dépositions" de la mère puis de la fille - le père, tortionnaire, voulant, par ces témoignages, faire éclore la vérité sur le vol de son arme... Là encore, on verra Rasoulof se jouer de ce médium et tordre le cou à toute éventuelle velléité de "caméra-vérité"... Le film gagne en densité, en opacité, en tension, en manipulation et livre un final digne... de Shining (mais oui, allons-y gaiement). Au final, derrière une première partie assez sage sur la forme, une petite graine de folie s'invite dans le métrage et le fait progressivement déraper vers un spectacle résolument beaucoup plus jouissif et libérateur. Bref, de la très bonne graine. (Shang - 22/09/24)
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Comme il faut bien mettre un peu de mauvaise humeur dans ce blog, je reconnaitrai une petite déception pour ma part face à ce film trop ambitieux, trop tout feu tout flamme, trop riche, trop chargé. Le précédent film de Rasoulof était constitué de plusieurs sketchs sur la peine de mort ; celui-ci a beau revendiquer une certaine cohérence, il semble bien également fait de plusieurs histoires, cette fois raccommodées assez mal et mal assumées. Le film emmène de cimes en abysses, ne trouvant jamais l'homogénéité, brassant maints sujets en un seul, et finissant par étouffer par sa volonté de présenter tout le menu du chef dans une seule assiette. Comprenez-moi bien : j'ai trouvé chaque "histoire" intéressante en soi, mise en scène avec puissance et talent, très bien écrite. Mais c'est sur l'ensemble que je trouve tout ça mal fabriqué.
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La première partie est très prenante : le portrait d'une gamine qui commence à éveiller sa conscience politique, à se rendre compte de son statut, et qui accepte de se confronter à toutes les valeurs qu'on lui a fait rentrer dans la tête. La confrontation avec le père est parfaitement gérée dans sa montée, et Rasoulof regarde tout le monde, parents comme enfants, avec un merveilleux humanisme : le père est tout autant victime que sa fille, victime d'un système patriarcal basé sur l'ignorance. Cette partie vous hérisse le poil, non seulement à cause des images de reportage où on voit des jeunes filles danser sans voile et défier l'Etat, mais aussi parce que le spectacle de cette gamine qui ose dire "non" à son père est poignant. La première heure semble donc vous emmener vers un drame familial feutré de plus en plus violent, vers un choc de générations filmé dans le calme familial, et c'est sûrement la partie la plus intéressante.
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Quand on vole le flingue du père, la deuxième histoire commence, mal scotchée avec la première, comme si un autre film démarrait. Basée sur le suspense (notre homme va-t-il se faire pincer sans arme ? qui l'a volée ?), elle fait là aussi brillamment monter la tension. On aime beaucoup voir ainsi illustrée la "théorie du fusil de Tchekhov" (renseignez-vous, hein, on va pas tout vous dire non plus) qu'on voyait venir depuis le début, et on suit cette partie-là comme un thriller, avec toujours ce fond politique qui se déroule, avec toujours cette thématique de la famille qui se désagrège à l'unisson avec le pays tout entier. Par obligation peut-être, Rasoulof ne filme pas lui-même la rue, les manifs, la rébellion ; mais il transforme le handicap d'être interdit de filmer en qualité. Le polar est symbolique, et très joliment écrit.
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Enfin, la partie Shining, troisième film dans le film (je ne compte pas les problèmes avec sa femme, qui sont un quatrième film, je suis sympa ) : un peu too much dans son écriture, pour le coup. Le père a des comportements qu'on saisit mal (pourquoi filmer tout ça ?), et la course-poursuite, même filmée magistralement, apparaît comme un rajout horrifique qui ne colle pas avec l'ensemble. Encore une fois, Rasoulof tourne la barre à 180 degrés, change non seulement d'univers mais de style. Ce dernier film, qui pourrait, oui, ressembler à un film d'horreur, est le moins intéressant. Au final, me voilà un peu mi-figue. Je conserve néanmoins toute mon admiration à Rasoulof, véritable héros en plus d'être un grand cinéaste. (Gols - 27/09/24)