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3 août 2024

Nocturne Indien d'Alain Corneau - 1989

C'était le temps où on était prêt à virer notre cuti devant le charme irrésistible de Jean-Hugues Anglade, et où on allait voir tout ce qu'il faisait. Ce fut l'occasion de découvrir ce film, que je n'avais donc pas vu depuis 35 ans. Envoyant la chose avec pas mal d'appréhension (vieux cinéma de papa à la française ?), j'en ressors très satisfait : voilà un film profond et beau, envoutant comme l'est l'Inde traversée par Rossignol, petit personnage quasi-abstrait de cette histoire de recherche de soi-même. Le pays, envisagé non seulement comme territoire géographique, mais comme espace mental à traverser, comme terre mystique et symbolique, est filmé en étranger par Corneau, avec simplicité et sobriété, avec fascination et une pointe de frayeur aussi. C'est l'Inde qui est le personnage principal du film, elle dépasse toujours le personnage, l'histoire, les événements de la trame. Violente, belle, dépaysante, absurde, saturée de mysticisme, elle est opposée à la candeur et au matérialisme de ce personnage principal, sillonnant le pays à la recherche de son ami : sa quête est inlassable, il a besoin de retrouver cet homme dont on ne sait rien ; on n'en sait pas plus non plus sur le pourquoi de cette recherche, sur la nature de leurs relations. Il faudra un dénouement superbement doux avec Clémentine Célarié pour avoir le fin mot de cette intrigue empreinte de métaphysique.

La marque de Tabucchi, auteur du livre qui a servi de base au film, est très prégnante : l’adaptation de Corneau est intelligente, parce qu'elle arrive à trouver cette pointe de mythologie et de spectaculaire au sein d'une (en)quête psy, savante, intello. Le jeu hébété de Anglade fait le reste. Magnifiquement dirigé, il regarde les gens qu'il croise dans cette Inde sauvage et dure en vrai Candide (ou en Peter Schlemihl, figure tutélaire du film), à la fois effrayé et fasciné, son ton de voix est du début à la fin d'une grande douceur, il est comme passif face à tout ça, et ne se reprendra qu'in extremis, acceptant enfin d'assumer sa propre personnalité, de retrouver son ombre, pour filer la métaphore. Il a toujours l'air de courir juste derrière l'homme qu'il recherche, d'arriver systématiquement un peu trop tard sur les différents lieux dans lesquels il aurait vécu. Comme si Rossignol était un peu désaxé, un peu absent même, jamais exactement à sa place dans ce pays qu'il ne comprend pas. Le rythme très lent du film, la musique majestueuse de Schubert, la photo spectaculaire de Yves Angelo, évoquent un Visconti, comme si la mort, la morbidité marquait tout le film, comme si on était là face à un film testamentaire, comme si on assistait à la fin d'un monde symbolisé par une Inde malade, fiévreuse, dangereuse. On est pris dans cet univers moite, dans cette mise en scène sobre mais juste, dans ce rythme, et on ressort deux heures plus tard tout aussi hébété que Anglade, bien touché par ce film intelligent et beau.

 

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