Les Briseurs de joie (Padlocked) d'Allan Dwan - 1926
Réalisé 5 ans plus tard, au début du parlant, Padlocked aurait été pourri. Mais posé ici dans l'écrin du cinéma muet, c'est un petit trésor de mélodrame. C'est que, pour compenser un scénario qui serait très bavard, Dwan est contraint de trouver des solutions purement physiques. Il les trouve dans le jeu des acteurs, absolument remarquables, et dans une foule de petits gestes craquants (rhaaa, les doigts du jeune premier qui font bang-bang pour montrer à une fille qu'elle lui plait). C'est la grandeur de cette période, que voulez-vous, moi ça m'émeut, et ça me fait passer n'importe quelle lourdeur d'écriture comme une lettre à la poste. Et lourdeur il y a dans cette histoire destinée à tirer les larmes dans les chaumières et à édifier probablement les jeunes filles qui seraient amenées à la voir. C'est la triste destinée d'Edith (émouvante Lois Moran), jeune fille soumise à son rigoriste de paternel, qui voit d'un mauvais œil ses innocentes fêtes entre copines. Après une ultime dispute et la mort accidentelle de sa môman, elle va choisir la vie opposée, une vie de débauche et de vice : elle devient danseuse dans une boite un peu louche, sous les yeux émerveillés d'un jeune gars gentil et honnête (Allan Simpson, graine de star... dont c'est le seul film) et du prédateur vieillissant de base (Charles Lane, sirupeux à souhait). Ce dernier préfigure Weinstein et annonce #Metoo : il veut des jeunes filles, que des jeunes filles, c'est sa passion. Après maints quiproquos et force pièges, notre héroïne se retrouvera abandonnée par le gentil gars, envoyée dans un foyer de redressement et vouée à sa perte. Terrible.
Mais en parallèle, on suit aussi le destin du père austère, mariée à une oie blanche qui se métamorphose dès qu'elle a la bague au doigt en dévergondée de la plus belle eau, invitant mère, frère (le tout jeunot Douglas Fairbanks Jr) et sœur dans le détroussage de son crétin de mari. Quand, se dit-on, mais quand est-ce que cet homme se rendra compte qu'il a mal jugé sa fille, qu'il lui faut la retrouver et la pardonner, qu'on est le fruit des rencontres et du hasard, mais QUAND ? Il y aura du lit d’hôpital, du frappage de poitrine et de l'aveu avant que ce moment n'arrive, j'aime autant vous le dire. Bon, voilà, ça y va franco du mélodrame et du grand sentiment poignant, notre Edith sera bien malmenée par un Dwan assez sadique avec elle, mais tout se terminera bien. Mais le réalisateur, comme d'hab, prouvera aussi sa compétence à la mise en scène : le film est très beau, magnifié aussi par la photo, d'une fluidité magique avec son très bel enchainement de plans larges et de gros plans. Dwan est tout dans le détail, et montre une grande acuité, une grande faculté d'observation , dans les minuscules nuances de jeu de ses acteurs, épatants. Et puis l'aspect féministe du scénario s'avère très moderne, à l'époque où les actrices devaient passer plus souvent qu'à leur tour et dans l'indifférence générale sur le divan de ces messieurs pour avoir un rôle. Tout ça dans une modestie d'exécution (le gars ne sa la pète pas en rendant ses effets très visibles) et avec un savoir-faire total. C'est très très bien.