Le Chant de la Brume (Kiri no oto) (1956) de Hiroshi Shimizu
Hiroshi Shimizu : ma paix, mon royaume... Oui, cette odyssée qui progresse au compte-gouttes, un jour, je vous le dis, on en verra la fin, mais en attendant, chaque film qui nous tombe soudainement du ciel, est un délice... On ne sait trop, dès le départ, dans ce paysage de montagne où la brume a tôt fait d'envahir les sommets, si ladite brume finira par traduire une vague de tristesse ou une vague de bonheur... On sait, quoi qu'il advienne, qu'il s'agira d'une vague d'émotion et c'est déjà tout tremblant, tout fébrile que l'on découvre les personnages principaux... L'ouverture se fait sous le sceau de la joie et de la légèreté : un jeune couple (uni), un père (celui de la fille, incarné par l'inamovible Ken Uehara qui porte toute la misère du monde sur son seul front) se baladent dans la forêt en direction d'une cabane où ils ont l'habitude de se retrouver, à la pleine lune d'automne, effectuant ainsi une sorte de pèlerinage... Un pèlerinage, dites-vous, mais plus pour la jeune fille (qui rencontra ici son futur mari) ou pour son pater ? C'est parti pour trois flash-back (narrant des faits qui se sont déroulés en ce lieu tous les trois ans) pour tenter de percer le lourd secret du père : nostalgie nostalgie ou ancien bonheur caché et enfoui ?
C'est en ce lieu que le père, botaniste, à la sortie de la guerre, avait décidé de s'installer pour étudier les plantes de la montagne ; loin de sa femme (et de sa fille), il semble coulé des jours paisibles en compagnie de sa jeune secrétaire, Michiyo Kogure as Tsuruko (l'amour entre eux étant aussi évident que la truffe au bout du long nez de mon chien)... Un bonheur simple, trop simple... Deux ombres au tableau viennent ternir cette entente paisible loin du monde : un jeune couple (il est lui aussi marié et peine à quitter sa femme en raison d'un enfant qu'ils eurent ensemble) qui se déchire et la venue, inattendue, de la femme de Ken... Tsuruko face à ses deux événements qui frappe coup sur coup sa douce love story prend une décision... La fin d'une histoire d'amour ou le début d'un amour éternel avec lequel le destin se plaira de jouer ?... Je n'en dis pas plus tant le hasard qui les fera par la suite se croiser (ou pas) fait tout le piquant de l'histoire... Mais Dieu sait que ce dernier (Dieu, lui-même) aime parfois à jongler avec les sentiments et les coïncidences... Comme on n'est pas chez Lelouch (Hosannah), tout cela prend entre les mains de Shimizu une délicieuse teinte taquine ou chafouine...
Ce que Shimizu se plaît ici à joliment mettre en scène, c'est autant les mouvements orchestrés autour de cette cabane (où se croisent et se retrouvent chaque année nombre de gens : les propriétaires des lieux, des étudiants en goguette, un véto admirateur de geisha...) que les silences qui viennent parfois hantés une fin de conversation ou qui s'imposent lors de retrouvailles où les mots, la foi, le courage, tout d'un coup, manquent... Plus on avance dans le récit, plus l'on se dit que Shimizu se joue de nous en même temps qu'il s'amuse des coïncidences (des relations se nouent grâce à une maladie, une réservation oubliée... des maux pour des biens, ou... des biens, des hasards incroyables, pour des maux...) : happy end en perspective ou tristesse violente et assumée par la douce plainte des violons et la brume qui envahit poétiquement ces nuits mortifères ? On ne sait jamais vraiment sur quel pied dansé, une soirée arrosée de saké pouvant tout autant se nouer dans les rires que dans le drame. Un huis-clos absolument superbe, porté par des acteurs de renom (Takeshi Sakamoto, Chieko Naniwa, Eijirô Yanagi...) qui vous laissera dans le même état que lorsqu'on le cueille un edelweiss : avec une noble joie et un voile de blanche tristesse.