Trois Chemins vers le lac (Drei Wege zum See) de Michael Haneke - 1976
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Encore frais sorti du berceau, Haneke adapte le beau texte de Ingeborg Bachmann (qui n'était peut-être pas exactement pour lui, compte tenu de son œuvre actuelle), et réussit un film intéressant, à défaut d'être vraiment passionnant. Tout en retenue et en pudeur, le voilà donc filmant Elisabeth Matrei, femme en plein bilan de sa vie à l'entrée dans la cinquantaine : elle qui a toujours été au service des hommes, que ce soit ses amants, son frère, son père, elle revient aujourd'hui en terres d'enfance, chez son père vieillissant, pour faire le point sur son passé et envisager l'avenir, celui qu'elle n'a jamais su affronter, celui de son métier de photographe. Un peu mal à l'aise entre la timidité de son taiseux de père et l'affection qu'elle a pour lui, entre nostalgie et volonté de faire table rase, elle erre dans cette forêt toute symbolique, cherchant le chemin qui la mènera vers le lac originel, revenant sans cesse sur ses pas, en choisissant un autre, se heurtant aux impasses, etc.
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Encore empreint du cinéma de ses idoles (Bergman, Fassbinder), Haneke se cherche un style dans ce film un peu anonyme, où on aura du mal à reconnaître la radicalité, la rudesse, la froideur futures, à part dans quelques plans généraux à la fin. Versant plus souvent qu'à son tour dans un sentimentalisme inattendu chez lui, il réalise toutefois un film profond et intelligent sur l'émancipation de cette femme depuis toujours asservie au regard masculin. La beauté des cadres, le jeu subtil de Ursula Schult, l'attention à la lumière et à la symbolique des décors, et surtout le très beau montage en puzzle font vraiment la différence : la vie d'Elisabeth nous est racontée par flash-back très rapides, de plus en plus précis, de plus en plus nets. Ce qui n'était au départ que des impressions mystérieuses devient peu à peu des séquences entières où on découvre des petits traumatismes cachés. Tout tourne surtout autour de cet amant, Trotta, jaloux, dominateur, déprimé, qui l'a toujours empêchée de devenir ce qu'elle voulait être. Cette structure assez complexe est très efficace pour exprimer les petits soubresauts de la mémoire, qui se fixent parfois sur un détail, sur un souvenir flou, et parfois sur de grands pans de dialogues. Les promenades de la dame en forêt, sont elles aussi remarquablement filmées, comme des réminiscences de mémoire de même nature que ses vrais souvenirs. Tout ça finit par produire un bel objet, un peu limbique, un peu vaporeux, mais qui dit bien ce qu'il veut dire : l'émancipation féminine doit en passer par un reniement des clichés masculinistes. Féministe avant l'heure, Haneke, à défaut de trouver un style à lui, à défaut de toujours passionner, offre un moment d'intelligence et de subtilité assez impressionnant.