Saravah de Pierre Barouh - 1969
Il faut être un sacré amateur de musique brésilienne pour accepter de se taper plus d'une heure de documentaire sur ces musiciens de samba, de macumba et de candomblé (la différence est ténue, je tiens à vous prévenir) réunis ici avec gourmandise par Pierre Barouh. Ça tombe bien : le film ne dure qu'une heure, et on suit donc sans trop de dommages ce petit documentaire sincère et amoureux. Complètement foutraque, sans fil conducteur, mais peut-être charmant justement par cet aspect, il prend la forme d'un catalogue de figures mythiques de la musique du pays, comme un effort pour graver dans le marbre (et le celluloïd) ces monstres légendaires. On croise donc des stars incontournables du genre : Baden Powell, Oscar Castro-Neves, Joao da Baiana (et sa célèbre assiette à dessert-percussion, le moment le plus poilant du film), Paulinho da Viola, Pixinguinha, Raulzinho ("deuxième meilleur tromboniste au monde"), et j'en passe. Ces noms ne vous disent rien si comme moi vous êtes resté bloqué sur The Kills et Georges Brassens, mais croyez-moi : ce sont des bêtes. A chaque fois, Barouh s'assied dans un coin (sans oublier de se cadrer au passage, la modestie n'est peut-être pas sa qualité première) et regarde les gusses interpréter les tubes du pays, en filmant à l'arrache ces moments de grâce, souvent mal, souvent décadré mais incontestablement à l'intérieur de la musique.
Le fait est que ces morceaux qui défilent (il y a au moins 50 morceaux sur une heure de programme) sont très beaux : mélancoliques ou festifs, engagés à la Joan Baez (mais pourquoi pas de sous-titres aux chansons ?) ou joyeusement populaires, ils touchent franchement, surtout interprétés par la crème de la crème, des personnages à la technique remarquable (et capables de jouer de la guitare un gros pétard à la main) et à la culture immense. On découvre que la musique , au Brésil, c'est quelque chose de très sérieux : il suffit qu'une nana entonne un chant, de n'importe quelle année, pour que tout le restaurant l'accompagne, hilare. Les vieux musiciens nous font part des racines de la samba, tentent de mettre en valeur les différences subtiles entre les styles, mais de ce côté-là c'est raté : le film n'est pas pédagogique, n'apprend rien, échoue à parler de cette musique. En échange, il offre de poignants moments de grâce, et se contente au bout du compte de n'être qu'un fournisseur de tubes, enchainant les chansons, attaché à ces artistes ravis de jouer ensemble. Le moins qu'on puisse lui reconnaître, c'est sa grande curiosité, sa sincérité, sa dévotion par rapport à cette culture. Le défaut qu'on peut lui reprocher, c'est de faire un peu de l'entre-soi, d'être assez chiant à la longue, de ne s'adresser qu'à un public de spécialistes, de manquer d'explications techniques ou historiques. Tel quel, un truc maladroit et amateur donc, mais il fallait ce style-là pour parvenir à être aussi sincère.