Pourvu que ce soit une fille (Speriamo che sia femmina) de Mario Monicelli - 1986
Un Monicelli étonnamment calme et mesuré, un Monicelli qui range son venin pour cette fois-ci, un Monicelli qu'on est en droit de trouver moins percutant qu'à une époque, mais un Monicelli qui n'a pourtant rien perdu de son acuité sociale, de son talent pour décrire par la bande les bonnes vieilles tares ou les bons vieux atavismes dans la société italienne de son temps. C'est au patriarcat qu'il s'en prend cette fois-ci, cette tendance qui est quasiment un art de vivre chez nos voisins outre-alpins : gentiment, par la chronique familiale, il démonte les codes du masculinisme, et dessine tranquillement une communauté de femmes qui vont se rebeller, presque sans s'en rendre compte, et former un groupe presque révolutionnaire. Monicelli se méfie des dogmes et des poings brandis, et préfère traiter son thème dans la douce-amère atmosphère d'une famille un peu tchekhovienne, dans une propriété qui commence à partir en lambeaux tout comme la vieille société bourgeoise qu'elle représente.
Au départ, tout ça a des allures de basse-cour dominée par son coq : un groupe de femmes vit dans une grande ferme toscane. Il y a la maîtresse de maison, Elena (Liv Ullmann), ses filles, sa nièce, la bonne, la sœur éloignée (Catherine Deneuve). Toutes vivent dans la souvenir de Leonardo (Philippe Noiret), ex-mari d'Elena, parti ailleurs faire des affaires. Mais voilà qu'il revient subitement pour monter une fumeuse affaire de bains, pour laquelle il aurait besoin qu'Elena lui file du fric. La présence de cet homme chez ce groupe de femmes qui s'en est déshabitué bouleverse toute la communauté, surtout que, imperceptiblement, il exerce une vraie domination sur elles, avec son caractère flambeur et ses attentions faciles (malgré sa faconde, on voit bien qu'il ne tient pas beaucoup à son ex-épouse et à ses filles). Sa mort subite, au premier tiers du film, va encore plus les bouleverser, et va en quelque sorte les réveiller : oui, il est possible de vivre sans homme, de recréer une sorte de paradis loin d'eux. Cette nouvelle famille, un peu de bric et de broc, va découvrir les vertus de vivre sans le regard des hommes, et s'en trouver fort bien.
Ce discours est asséné sans aucun dogmatisme par Monicelli. Il se contente de mettre bout à bout des situations gentiment rigolotes ou dramatiques, de regarder sa bande d’acteurs travailler, et de constater vers quoi le film, innocemment, se dirige. On ne programmera pas ce film dans un "Dossiers de l’Écran" spécial #MeToo, car si féminisme il y a, il apparaît presque par hasard dans ce film qui s’intéresse plus à la communauté, au temps qui passe, aux rapports humains qu'aux revendications politiques. Alors, oui, le film n'est pas dénué de défauts : trop long, pas très bien construit, synchronisé au plus rapide, assez moche dans sa photo qui se voudrait pourtant bellement lumineuse. Mais pour ces défauts, il y a pas mal de jolies qualités : les personnages notamment, tous touchants, ayant tous leur truc à défendre (la préférence pour Bernard Blier en aïeul gâteux, absolument génial) ; et les dialogues aussi, fins, discrètement insolents. Pas du très grand Monicelli, non, mais un film touchant.