Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse - 2024
Quelque part entre les sketchs des Nuls, les provocations de Dupontel et les films de Quentin Dupieux, il y avait une toute petite place que Jean-Christophe Meurisse vient combler avec appétit. Il propose en tout cas avec Les Pistolets en plastique un objet complètement foutraque, libre et original, qui fonctionne assez souvent pour qu'on y adhère. Difficile de résumer le film tant tout y part en sucette au moindre tournant, tant tout ressemble plutôt à une suite de sketchs inégaux avec un fil rouge quelque peu arbitraire. Meurisse s'intéresse en effet à l'affaire Dupont de Ligonnès, et l'aborde dans ses aspects les plus absurdes. On croise deux enquêtrices amateurs (et dépressives) sur les traces du fuyard, un danseur de country pris pour lui à l'aéroport de Stockholm, une flopée de flics plus ou moins compétents (des Suédois à cheval sur le protocole aux glandeurs français), un profileur surdoué, des médecins légistes dans leur quotidien, des voisins improbables (une mégère hyper-raciste, un homme au visage monstrueux), et notre homme lui-même, rebaptisé Paul Bernardin, coulant des jours heureux en Argentine. Tout ce petit monde se croise sans se croiser, chacun est pris dans la logique (souvent complètement illogique) de sa posture par rapport à cette affaire, chacun y va de ses 10 minutes de scène, comme si Meurisse, réunissant une bande de potes, avait voulu célébrer leur personnalité à chacun plus que réaliser un film construit.
Comme prévu compte tenu de l'exercice, c'est inégal. Dans ses mauvais moments, Meurisse use d'une provocation de gamin à courte vue. Certaines de ses séquences sont juste bêtement gore (la fin, très moche) ou flirtant avec le grand-guignol (le voisin au visage monstrueux, qui n'apparaît que pour amener de la gênance là où il n'y en a pas besoin). Le comble dans cette veine est atteint avec la pénible reconstitution du quadruple meurtre, complaisant et premier degré, scène complètement déconnectée du reste, que ce soit aussi bien niveau du ton qu'au niveau de la "construction" (certes très floue) du film. Meurisse satisfait son goût pour le morbide et le moche, bon, on le lui accorde, mais ça plonge son film dans une sorte de voyeurisme torve dont on n'avait vraiment pas besoin. C'est d'ailleurs le but recherché : critiquer le sensationnalisme et la soif de violence du public, son appétit pour les faits divers sordides. Dès la première séquence, les deux légistes annoncent bien la couleur, et préviennent qu'on va en avoir pour notre argent au niveau du spectaculaire putassier. On en aura, mais on se rendra compte grâce à ce film qu'on n'aime pas particulièrement le trash et le mauvais goût, adulé par le réalisateur. C'est toujours ça de pris.
Dans ses meilleurs moments, cependant, Les Pistolets en plastique fait franchement marrer. Les acteurs, excellents, dopent les situations les plus absurdes et donnent quelques séquences savoureuses. La palme à cet interrogatoire hystérique mené par Juana Acosta en flic tirée au cordeau, pleine de coke : de l'art de pousser gentiment le bouchon trop loin. Dans des scènes qui paraissent la plupart du temps largement improvisées, les guests, la plupart venus du théâtre ou du one-man-show, s'en donnent à cœur joie grâce à des petites situations qui sont comme des propositions de jeu : que peuvent se dire deux branle-manettes d'enquêteurs du dimanche en France et trois flics ripolinés en Suède ? comment vit au quotidien une star du profilage ? comment survivre à un voyage en avion aux côtés d'une femme enceinte et sans pudeur ? Comment rejoindre Buenos Aires au départ de Dijon ? pourquoi n'y a-t-il pas d'émissions de télé sur les verrines ? Autant de questions qui sont des terrains de jeu pour les acteurs, qui font l'essentiel du plaisir passé au film. Même si Meurisse ne démérite pas dans son écriture, dans son montage, dans sa mise en scène, proposant une sorte de manifeste pop et coloré sur un crime horrible, ce sont les acteurs qui font le film. Tout n'est pas intéressant, mais quand ces derniers ont le mojo (Jonathan Cohen, Nora Hamzawi, Charlotte Laemel, François Rollin, Gaëtan Peau...), c'est hilarant. Un vrai divertissement d'été, quoi, à l'humour douteux et efficace. (Gols 30/07/24)
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Tout est brillamment dit par mon camarade de classe sur ce film "français comique" comique - il est toujours bon de le préciser vu les 95% de navets dans la catégorie (la mentalité des producteurs français a-t-elle changé depuis Gérard Oury ? C'est la question qu'on est en droit de se poser). Ne voulant point faire une redite des points forts et des défauts de ladite chose (même Lompray et Dedienne s'en sortent avec une mention honorable alors qu'on aurait pu craindre le pire au niveau du free-lance), je voulais simplement insister sur ce véritable aspect "mythologique" pris par Ligonnes dans la société française, aspect que traite par la bande ce bon Meurisse. Entre les Sherlock Holmes au rabais mises en orbite par les réseaux sociaux, les flics zélateurs tout content d'avoir mis la main sur la bête (l'obséquieux Hector Manuel qui dégouline d'auto-contentement), ou encore les bons vieux beaufs français qui seraient prêts à lui reconnaître le "courage" de s'être lancé dans une seconde vie, on sent que le Dupont a au moins réussi à laisser sa marque (sanglante) dans les divers fantasmes plus ou moins avouables de nos compatriotes. Meurisse s'attaque à la chose parfois frontalement (de l'étrange séquence de masturbation devant le lit conjugal du Dupont (Une société française définitivement à la dérive ehehe) à la sympathique séquence toute en douceur d'énucléation ("la gentille cuillère", brrrr...) mais montre aussi ô combien le type continue de provoquer les hypothèses les plus folles - refaire sa vie sous le soleil et trouver l'amour, le vrai au milieu d'une bande de fêtards... L'amoralité va d'ailleurs comme un gant à cette histoire et il est véritablement dommage que la fin vienne presque contredire cette brillante démonstration (soit la réussite totale du type dans son échappée belle...) ; même si cela permet à cet abruti de "profiler" d'avoir, contre toute attente, gain de cause, on aurait autant aimé finir sur une chute des plus caustiques... Bon, c'est moindre mal, ne chipotons point sur cette franche réussite qui nous aura permis, entre autre, de nous sortir de la torpeur absolue du Coppola... (Shang - 03/11/24)