The Bikeriders (2024) de Jeff Nichols
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Cela faisait un bail que nous n'avions plus de nouvelles de Jeff Nichols et le voilà qui nous revient, en moto, avec un film consacré à l'esprit des bikeriders à la fin des années 60 et au début des années 70. Lui qui aime filmer les espaces sauvages, il nous surprend quelque peu ici en se consacrant à une poignée d'individus qui vivent le nez dans leur carbu... On voit rapidement que le film, dans un premier temps, tente de revenir aux sources, à cet état d'esprit si free des débuts : une bande de gaziers indépendants qui se plaisent à fonder un clan autour de leurs engins avec sur leur dos un blouson, des "couleurs", des insignes qui deviennent rapidement plus précieux que leurs propres mères. Des hommes entre eux qui aiment à avoir le nez et les cheveux dans le vent, passent leur temps à boire des bières et fumer des clopes ou fumer des clopes et boire des bières, et qui, solidaires, usent au besoin de leurs poings pour défendre l'un des leurs : des bastons à la régulière qui se finissent généralement en partageant une bière avec le clan ennemi - qui prône finalement exactement les mêmes valeurs. Nichols s'attache aux basques d'un certain Benny, un jeune chien fou, qui couve du regard (et vice versa - toute homosexualité larvée étant ici imaginable) son chef, l'incontournable Johnny (impressionnant Tom Hardy, tout en self control derrière son petit air retors)... Des hommes entre eux qui permettent à quelques femmes de partager leur vie tout en sachant qu'une grande partie de leur cœur est dans le vrombissement de leur machine, dans cet esprit de clan.
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Une mafia, en quelque sorte ? Oui, même si ce côté mafieux va se renforcer en route : des gars de retour du Vietnam, du haschisch (voire des drogues dures) qui tend à supplanter la bière dans le soirées entre vrouvroumeurs et surtout, inexorablement, une violence au sein des clans qui devient de plus en plus prégnante - et qui va de paire avec une diversification des activités de nos bikers (règlements de compte saignants, prostitution, trafic de drogue - une gabegie motorisée) ; l'âge d'or du biker se transforme en âge de plomb et Nichols de tenter de nous retracer fidèlement la trajectoire (accidentée) du jeune Benny et du sage Johnny dans cette évolution dégénérative qui leur échappe de plus en plus... Film relativement atmosphérique (on prend son temps pour pénétrer ce petit milieu où l'on sent la kro qui s'accroche aux barbes), porté par une musique vintage des plus musclées, qui illustre intelligemment aussi bien cet esprit de "corps" des débuts, louable, et cet esprit malsain de la fin, incontrôlable. Nichols filme ses acteurs au plus près, sa mise en scène précise donnant une certaine ampleur à ces brusques accélérations de violence entre clans ou de motos lâchées en groupe sur le bitume. Le regard de ce photographe sur ce monde (dont Nichols adapte ici les travaux), qui s'appuie lui-même sur les commentaires de la compagne de Benny, permet de poser un regard assez lucide sur ce milieu où la liberté originelle des bikers semble s'être odieusement pervertie en route. Belle justesse de ton et finaude direction d'acteurs (Michael Shannon toujours au sommet de sa forme dans ce second rôle savoureux) pour évoquer ces anges de l'enfer qui ont brulé leurs ailes - avec le temps... (Shang - 24/06/24)
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Un film de mafia sans mafia, un film de Scorsese sans De Niro : Nichols s'appuie sur un scénario usé jusqu'à l'os pour nous parler de ces motards, les filmant exactement comme Martin filmait jadis ses gangsters : un clan d'hommes aux codes d'honneur très marqués, des femmes potiches, un âge d'or puis une déliquescence, une figure de chef forte puis dépassée, un petit jeune qui fait son trou dans le groupe et grandit peu à peu. Le gros défaut du film vient sans doute du scénario : on prévoit à l'avance tout ce qui va arriver à Benny et sa bande, tant Nichols avance en terrain balisé depuis 40 ans. Et on n'aura aucune surprise dans ce film d'un classicisme qui confine à l'académisme : tout s'y déroule dans le bon ordre, tranquillement. Nichols ajoute pourtant un élément essentiel et intéressant à son portrait d'hommes entre eux : l'homosexualité latente des personnages. Depuis la première apparition de Benny (dans une imagerie suave de poster d'adolescent, on dirait le Matt Dillon ou le River Phoenix des débuts) jusque dans ses rapports avec le chef de bande (dans des dialogues troublants où les corps se rapprochent inexorablement, où les voix se transforment en murmures), on dirait le film sorti de l'imagination d'un Van Sant, et cet aspect en fait un film finalement attachant malgré ses clichés. Austin Butler est sans cesse déifié à l'écran, visiblement cible des fantasmes de Nichols, alors que le personnage joué par Jodie Comer est proprement sacrifié, comme elle l'est dans le groupe de motards. The Bikeriders est un film gay comme l'était le film de Bigelow sur les surfeurs ; seul le moyen de locomotion change.
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Justement, parlons moto. Au départ, on se réjouit de découvrir le choix du scope, et on se dit que Nichols va nous filmer des équipées sauvages dans de vastes décors de l'Amérique profonde, laisser les travellings nous montrer les motos inscrites dans un territoire. Et ça fonctionne à peu près pendant une demi-heure. Mais après ça, il fait le curieux choix de rester très près de ses acteurs, renvoyant le scope à une inutilité gênante. Visiblement pas du tout intéressé par les motos, il préfère filmer des groupes de mecs, et du coup le contexte n'existe plus. C'est dommage, et quand on se remémore Brando ou Hopper sur leurs bolides, on se dit que Nichols est passé à côté d'un beau truc. Scénario trop attendu, mise en scène moyenne, on pourrait croire que je n'ai pas aimé The Bikeriders ; eh bien ma foi, je l'ai trouvé sauvé par ses acteurs : on se marre beaucoup à voir Tom Hardy (et sa voix de canard) ou Michael Shannon cabotiner à qui mieux mieux, et rien que ce travail de composition classique, ajouté à une bande-son très classe, apporte du plaisir, et permet de suivre ce film suranné et cousu de fil blanc sans trop de dommage. La moyenne, donc. (Gols - 11/07/24)
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