Proust, l'Art et la Douleur (in Choses vues) (1971) de Guy Gilles
Ah que diable, on savait se donner le temps, naguère, pour apprécier à sa juste valeur la chose littéraire... Si vous voulez entendre et réentendre du Proust avec, en toile de fond, cette bonne ville d'Illiers (même les jours où il fait soleil, tu dois avoir envie de te pendre... je m'imaginais une bourgade un peu plus verte et fleurie mais baste), vous avez choisi la bonne chaîne... Mais bon, tout de même, il n'y a pas que de longs passages proustiens (lus avec douceur par Emmanuelle Riva) ici : on découvre notamment le gars Pierre Larcher, 90 ans au compteur, qui nous fait une petite visite dans les règles de l'art des rues d'Illiers avec des commentaires qui transpirent le Marcel par tous les pores : si la visite de la maison de la tante Léonie n'a, il faut bien le dire, qu'un intérêt assez limité, la connaissance du Pierre de l’œuvre de Marcel est proprement étourdissante : à chaque objet, son anecdote, sa citation, son souvenir... Ce type est une mine d'or littéraire, comme si le gars avait ingurgité et digéré tous les tomes d'A la Recherche pour pouvoir un jour les réciter à l'envi... Et puis, autre clou, je sens que vous frémissez, la participation de l'incontournable Céleste Albaret qui fut, sur toutes les dernières années de la vie de Proust, sa fidèle servante (et muse, aussi, contribuant pour un bon tiers à la personnalité du personnage de Françoise dans La Recherche). Pas besoin de la lancer pendant des heures pour qu'elle raconte sa vie au côté du génie. De sa première rencontre avec l'écrivain à sa mort, elle se souvient de tout avec toujours un petit éclat dans les yeux et un léger rictus de joie. De la dévotion comme on n'en fait plus, ma bonne dame... On profite gentiment de sa présence et de ses anecdotes de première main (quand Proust et Céleste balançaient sur leur entourage, ça cassait grave) en remerciant Guy Gilles pour ce documentaire qui repose en grande partie sur son témoignage... On le remerciera moins pour ces multiples plans sur les éphèbes (des interviewers potiches ?) qui accompagnent ces deux personnages ou qui errent nostalgiquement dans les rues de Venise (de l'art à la douleur, on était prévenu ceci dit) : des plans inutiles et bourratifs qui tombent comme un cheveu dans la tasse de thé. Une petite envie de madeleine ? Allez !