LIVRE : Le Témoin de Joy Sorman - 2024
Le Témoin est un texte passionnant sur le rouages de la justice exercée au quotidien. Passionnant mais bien triste : Sorman y montre l'injustice de la justice, et renvoie l'image dorée de l’institution aux orties. Selon que vous serez puissant ou misérable, selon que le juge sera en pleine digestion ou non, selon le sens du vent et les caprices de la vie, vous pouvez tout aussi bien, pour la même faute, vous retrouver relaxé ou jeté en prison pendant 5 ans. C'est le constat amer que tire la romancière de ses longues heures assise sur les bancs des prétoires, assistant à des affaires allant de la plus anodine (un vol de portable) à la plus grave (soupçons de terrorisme). A chaque fois, ce sont des destins qui risquent de se briser, des biographies remplies de fêlures et d'accidents, des psychologies fragiles à prendre en compte, des problèmes complexes à démêler ; ce que la justice n'a absolument pas le temps de faire. Du coup, l'aspect hasardeux tout autant que réglé comme du papier à musique de ses jugements (un acte = une peine) saute aux yeux ; et les victimes, tout autant que les accusés, semblent pris dans un engrenage judiciaire auquel il ne comprennent rien, et les verdicts semblent tomber au petit bonheur. Bien effrayant constat, donc, que Sorman décrit avec beaucoup d'acuité et d'humanité. Son livre est éminemment politique et alarmiste, n'hésitant pas à se révolter quand les faits sont vraiment trop scandaleux. Plutôt qu'un long essai rébarbatif, elle préfère proposer un roman, qui s'appuie certes sur des cas très documentés, mais qui restent quand même du côté de la fiction grâce à une sous-trame inventée.
Ça dynamise le livre, certes, mais ça en pointe aussi les limites. Pour densifier sa trame, elle invente un petit personnage, témoin-tampon de tous ces destins qui se brisent aux tribunaux. Bart (dont le nom est emprunté au Bartleby de Melville, et on comprendra à la fin pourquoi) est un mec sans envergure qui décide un jour de quitter domicile et boulot pour passer clandestinement sa vie au palais de justice. Il s'y aménage une cachette, organise ses repas et ses lessives, et passe ses journées entières sur le banc des témoins à regarder la justice se faire. Pourquoi pas ? Mais cet ajout de fiction ne réussit pas tellement bien à Sorman qui se perd (et nous avec) dans une sous-trame inutile, qui ne lui sert pas à grand-chose et au contraire "déréalise" la partie documentaire. Quand elle s'intéresse à son personnage Fictif, l'auteur se monte bien moins crédible que quand elle "se contente" de la vérité, montrant par là qu'elle est plus habile dans l'observation de la vérité que dans l'imagination. Voilà qui appauvrit un livre qui, sans cet ajout, aurait été vraiment captivant.