LIVRE : Dead Stars de Benjamin Whitmer - 2024
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Benjamin Whitmer, que l'on a toujours apprécié dans ces colonnes, nous revient avec une histoire de famille, forcément rugueuse, mais pas seulement. S'il sera, as usual pourrait-on oser, question de violence (violence du père, de ses deux fils aussi, héritiers malgré eux du principe quelque peu contestable où "la fin justifie les moyens"...), il sera aussi fait allusion, en toile de fond, à cette usine pour le moins opaque qui s'est installée dans ce bled du Colorado et qui a bouleversé totalement son équilibre, son côté paisible... Une entreprise pour le moins secrète et tentaculaire qui deale avec le plutonium et autres matières éminemment dangereuses... Une usine malsaine qui semble, d'une certaine façon, avoir irradié directement les relations humaines...
Au départ il y a une disparition : le fils de Hack, Randy, parti en fin de soirée à la recherche d'une vidéo, est introuvable... Hack, qui a en grande partie élevé seul ses enfants et qui est loin d'être un homme exemplaire, va devoir renouer avec ses proches (son frère, Whitey, avec lequel il a quasiment perdu contact, son père, Robin, auquel il ne parle plus tout) et compter sur sa fille, Nat, ado en pente douce sur le chemin de l'alcoolisme, pour mener l'enquête... Quant aux habitants de cette ville de Plainview que Hack s'est mis à dos (en contactant notamment un journaliste qui mène sa petite enquête sur l'entreprise qui fait tourner la bourgade), difficile de croire que ces derniers apporteront leur soutien aux recherches... Bref, Hack, seul contre tous, s'engage sur un terrain miné pour retrouver celui qui compte pour lui (avec sa fille) plus que tout au monde...
Une recherche qui part, on peut le dire, sur de sales bases, qui s'annonce, même, comme une gageure tant les résistances, envers Hack, de la population voire de ses proche, sont sensibles ; nonobstant, ce dernier, ancienne petite gloire du rodéo, avance tête baissée... On peut même dire qu'allié à son frère, on a véritablement affaire à deux terreurs - coups de poings, couteaux, fusils, ils disposent de tout un arsenal pour faire avancer leur enquête. Comme des bourrins, des bulldozers... A défaut de soulever des pistes probantes, ils vont surtout, en cours de route, remuer un passé qui sent la tourbe... Qu'il s'agisse des relations (violentes et jamais apaisées) avec son père, de la disparition de son ex-compagne, Joy, devenue junkie, de ses relations avec Rose, une femme mariée avec un ingénieur, rien n'est simple pour Hack, rien n'est limpide : les révélations vont pleuvoir, les complications s'accumuler... Une recherche à tombeau ouvert, pleine de furie et de drames divers dans un contexte politico-environnemento-économique pour le moins malsain... Plus le livre avance, plus l'on semble s'enfoncer dans les cercles de l'enfer... Un Whitmer qui paraissait, au premier abord, avancer en ligne droite, évoquant de simples petits soucis familiaux mais qui va se révéler, à l'usage, beaucoup plus trouble et complexe, évoquant au passage tous les traumas de ces personnages principaux coincés dans cette Amérique de la périphérie qui prend des allures de cauchemar atomisé. Une plongée glauque (et prenante ; souvent perturbante tant la violence des sentiments fait rage) où chacun va tenter de survivre en laissant "la merde (véritable leitmotiv du bouquin) au niveau de la chaussure" - tout en pataugeant dedans (au moins jusqu'à la taille) de bout en bout... Des étoiles mortes, du noir, encore un brin d'espoir ? Un polar puissant qui laisse KO debout. (Shang - 09/04/24)
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Arf, oui, on ressort avec une gueule de bois carabinée de ce bouquin, et pas seulement à cause des rasades de vodka que s'envoient les personnages toutes les 3 pages. Ce thriller à la trame finalement assez classique n'est qu'un prétexte pour Benjamin Whitmer pour déployer toute sa noirceur concernant le genre humain, la civilisation américaine et les atavismes de ses contemporains. Armé d'une solide philosophie nihiliste, qu'il nous offre gracieusement au travers de formules imparables tout au long de sa trame, il affiche une amertume déprimante quant à la violence éternelle et inextinguible de la race humaine : pas un personnage pour sauver l'autre dans cette smala torve, ni le "héros principal", nid de rancune et de traumas mal digérés, qu'il tente d’oublier dans les rodéos ; ni son frère, brutasse qui réfléchit après avoir frappé, engoncé qu'il est dans ses vérités toutes faites ; ni leur père, véritable monstre à l'origine de tout ce Mal ; ni même la petite Nath, qu'on plaint au départ d'être née dans ce lit de violence, mais qui effraye de plus en plus au cours du roman, complètement prise dans cette spirale de mort et d'alcool. C'est effectivement l'héritage familial qui a définitivement vicié cette famille, mais c'est aussi l'influence de cette misérable ville-prison (réminiscence du formidable Evasion, précédent roman de Whitmer), construite entièrement autour de l'usine à plutonium, et dont la toxicité semble avoir envahi les habitants eux-mêmes. Car ce n'est pas seulement la famille Turner qui est mortifère ; c'est tous ceux qui les entourent, habitants de Plainview voués au crime, au mensonge, à l'omerta, aux trafics d'armes et d'âmes...
Autant vous dire qu'on est pas tout à fait dans des ambiances rose-bonbon. Même si la violence explose relativement rarement, Whitmer préférant de toute évidence les dialogues et les atmosphères à l'action, elle est omniprésente dans les rapports entre les personnages, et elle imprègne tout le livre. Cette philosophie du mal, déployée dans un style impressionnant de sécheresse, toujours intelligente malgré son pessimisme crasse, rythme par ses aphorismes la trame, et finit par la surpasser. On note en effet quelques petites longueurs sur le dernier tiers du livre du côté de l'intrigue qui s'enlise un peu. Mais on reste stupéfaits par l'écriture de Whitmer, qui ne lâche jamais rien au niveau de la noirceur, de l'économie de moyens, de la précision : les dialogues, nombreux, sont des modèles avec leurs ellipses qui sont comme des gouffres (on met souvent deux-trois répliques à savoir de quoi on parle exactement), avec leur rythme impeccable. Mais tout l'univers mis en place grâce au style est impressionnant de maîtrise. Alors même si la trame est un poil surfaite et sa résolution un peu décevante, on ne peut que s'incliner devant la singularité de cet écrivain hors-normes. Genou à terre, même... (Gols - 25/04/24)