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Shangols
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10 mai 2024

Le Mal n'existe pas (Aku wa sonzai shinai) (2024) de Ryûsuke Hamaguchi

Relativement intrigant (surtout dans son final) cette nouvelle œuvre de Hamaguchi qui fait la part belle à cette nature superbement mise en musique (plutôt que de faire un simple clip sur la musique somptueuse d'Eiko Ishibashi, Hamaguchi a fait un film et bien lui en a pris). On rentre dans cette œuvre avec un long travelling et une caméra en contre-plongée sur le sommet des arbres, et l'on se fait vite happer, avec ces notes à la fois apaisantes et rugueuses du violoncelle, dans l'antre de cette forêt... La tronçonneuse de notre héros viendra rompre l'aspect paisible des lieux qui, là encore, avec l’ajout de cette musique grave, semble éventuellement receler quelques menaces, quelques mystères éventuels... La première partie se concentre sur les rapports idylliques entre cet homme des bois et sa fille et l'on se laisse quelque peu bercer par cette sérénité malgré les notes sombres... La seconde partie sera beaucoup plus bavarde avec l'arrivée de ces deux clampins qui viennent faire la promotion de leur glamping (du camping pour les glands, enfin tout comme...). Levée de bouclier de la population qui voit d'un sale œil l'installation de ces campeurs du dimanche (sans surveillance durant la nuit - bonjour les feux de forêt) ainsi que celle d'une fosse septique sur ledit terrain (une fosse à la taille limitée qui pourrait conduire à polluer l'eau si limpide du coin...). Scepticisme donc versus tourisme plus tourné vers le profit que vers le respect des lieux... Hamaguchi décide dès lors de suivre nos deux quidams quelque peu secoués par les vives réactions de la population locale : face à leurs boss (quelque peu caricaturaux) auxquels ils tentent d'expliquer la situation, ils sont néanmoins totalement démunis ; ils reviennent ensuite sur le terrain pour tenter de convertir l'homme des bois à leur projet... ou vice versa... Une soudaine disparition va quelque peu troubler ce trio directement confronté à cette belle et sombre nature...

Une troisième partie beaucoup plus troublante durant laquelle, sans vouloir chercher à évoquer la fin ou à donner des clés sur ce dénouement, la nature semble quelque peu reprendre ses droits... Le Mal n'existe pas dans le monde animal ou naturel mais les conséquences des actes humains y trouvent, eux, une répercussion directe... Thème, certes, dans l'air du temps, mais qu'Hamaguchi traite avec une belle finesse (tout le film semble être parsemé d'indices qui trouvent leur sens sur la fin) et avec un vrai sens du suspense, le dénouement mêlant avec une belle réussite et une grande force onirisme et réalisme, violence et douceur, étrangeté et naturalisme... On se fait cueillir par cette ambiance si paisible au premier abord tout comme les deux glandus de la ville rapidement charmés par la nature, prenant fait et cause pour cet homme des bois "intégré" qui est pourtant loin d'être parfait - quelques trous sur son passé (pourquoi ne boit-il pas ? Qu'en est-il de sa femme ?) ; par ailleurs, il ne se remet guère en question, au début de l'histoire (ce qui donnera lieu au plus beau plan du film : travelling + ellipse "magique"), lorsqu'il est en retard pour aller chercher sa fille... Bref, ces deux mondes, urbain et rural, se confrontent, se jaugent, se domptent plus ou moins avant que la nature prenne, en un sens, le dessus... Une fin, disais-je, troublante, qui illustre à la perfection l'atmosphère générale de ce film qui joue aussi bien sur la beauté que sur l'imprévisibilité de cette nature (contrariée).  Hypnotique et magnifiquement brumeux.  (Shang- 12/04/24)

 

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Le cinéma d'Hamaguchi est indéfinissable, et le charme qui s'en dégage assez indicible. Mais le fait est : on sort de Le Mal n'existe pas très agréablement charmé et dérangé dans notre confort. Sans avoir bien tout tout compris, certes, hein, je ne dis pas ; mais indubitablement touché par ces rythmes lents, par le mystère qui se dégage de ces séquences naturalistes, par l'humour discret qui ressort de ces réunions houleuses entre locaux et investisseurs vénaux, par les petites pointes de fantastique qui viennent ponctuer la chose sans du tout en briser la tranquillité. Le tout en gardant une cohérence parfaite : malgré la diffusion des idées, des genres même, le film semble fait d'un seul mouvement, chaque scène appelant la suivante dans un emboîtement parfait (grandeur du scénario) tout en ménageant de grosses surprises : qui aurait pu croire, à la découverte des premières scènes presque abstraites, qu'on allait partir ensuite sur une lutte écologiste, puis sur un quasi-thriller ? Qui aurait pu penser que les deux personnages un peu losers des employés au front pour défendre le projet de "glamping" deviendraient les personnages principaux du film ? Du coup, on ne sait pas trop comment attraper le film, comment le regarder, mais ce trouble est vraiment délicieux, et on se laisse porter par une histoire imprévisible et qui laisse de grandes portes béantes.

Il y a un côté Dersou Ouzala dans ce petit personnage pas commode qui vit dans la nature et se contente de ce qu'il a, confronté à une civilisation galopante qui le menace (menace concrétisée par la disparition de sa fillette). Comme dans le chef-d’œuvre de Kurosawa, Hamaguchi se laisse volontiers aller à la simple contemplation des choses (ces plans d'ouverture magnifique sur les arbres en contre-plongée, les très lentes séquences de coupage de bois ou de remplissage de bonbonnes d'eau), tout en conservant une histoire très tenue, ici légèrement politique : c'est la forme même du film qui se trouve menacée par l'arrivée du capitalisme pur et dur dans le paradis champêtre de la première partie du film ; mais on peut aussi lire l'ensemble comme une mise en parallèle des dangers de la civilisation moderne et ceux de la nature, les deux étant finalement peut-être aussi gros. En tout cas, le mystère de ces plans (et pas seulement les derniers) reste en tête. Une fois de plus, Hamaguchi respecte le spectateur jusqu'au bout, et connaît les vertus du cinéma quand il s'agit de fabriquer des interrogations et de faire dans la subtilité.  (Gols - 10/05/24)

 

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