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13 décembre 2024

Eureka (2024) de Lisandro Alonso

Il faut un peu de temps pour laisser "décanter" certains films, et c'est le cas de ce nouvel opus du cinéaste argentin (j'ai bon cette fois !) Alonso qui nous fait passer avec une fluidité remarquable d'un univers à un autre, d'une époque à une autre... On commence en enclenchant les pas de Viggo Mortensen lourdé à une poignée de kilomètres d'un bled pourrave : on commence le voyage avec lui, dans un noir et blanc fabuleux mais dans une atmosphère westernienne crasse ; le Viggo est colère, bien décidé à retrouver sa fille chez un cow-boy sans vergogne... un épisode revanchard de petits blancs qui va nous permettre, juste avant un bulletin météo, par le biais du petit écran, de nous retrouver comme par magie dans une réserve indienne (on retrouve nos Oglagla de War Pony !). Le mythe westernien façonné par les colons ne semble pas vraiment captiver l'attention dans le foyer de cette flic en partance pour une nuit de mission policière au long-cours ; un personnage de blanche en panne en bord de route (Chiara Mastroianni, déjà présente dans le western (elle est dans la réserve justement pour préparer son rôle - une Chiara avec laquelle, une fois de plus, j'ai énormément de mal : ses tics de jeu sont plus visibles que ceux de Vincent Lindon au naturel)) qui va nous mener jusqu'à une entraineuse de basket quelque peu désemparée... Mais avant de suivre les pas d'icelle, la fliquette va nous mener en immersion jusqu'au bout de l'enfer dans cette réserve - alcoolisme, violence, dépravation, pas de quoi se réjouir dans ce véritable zoo humain en déperdition... L'espoir semble s'être ici totalement dissous tout comme justement notre femme flic qui sombre, ou plus exactement qui disparaît dans la nuit (elle ne répond plus aux appels - une séquence un peu longuette, il faut l'avouer, qui fit disparaître le couple devant moi et qui laissa pour morte ma voisine de droite... c'est exigeant, un film d'Alonso...)... On retrouvera alors notre basketteuse qui va également, plus poétiquement, réussir à se faire la malle et nous mener, tout droit, en pleine forêt brésilienne dans les seventies... Un village de "rêve" (un lieu où on a encore le temps de se les raconter) qui va laisser la place à une autre réalité beaucoup plus amère... Suite à une rixe (pour les beaux yeux d'une fille), notre nouveau jeune héros dont on vient de faire la connaissance va se transformer en chercheur d'or : exploité par des étrangers, cherchant à fuir cette rivière où chaque comparse est une menace, notre Amérindien connaîtra à son tour diverses mésaventures... Jusqu'à l'heure (poétique) de la "délivrance" ?

Des aventures, disons-le tout de go, qui partent un peu en eau de boudin et qui ne laissent au final qu'une place très étroite à un quelconque espoir (qui se manifeste plus, soyons franc, sous forme "spirituelle" que matérielle...). On aime ce cinéma d'errance, plein de surprise et d'étonnement... On passe en un tour de main de la causticité d'un western d'un autre temps, au constat terrible de la vie sacrifiée dans cette réserve à ce paysage de forêt de rêve où tout départ vers un ailleurs (Eve en avait déjà fait les frais) est synonyme de danger... Des personnages qui se font écho (Mastroianni), un fil conducteur léger comme l'air (le jabiru, témoin silencieux de ces êtres en souffrance) et une traversée en accéléré (ou au ralenti, c'est selon) de ce continent américain qui mêle violence implacable, violence sociale et violence physique mais avec aussi, tout de même, ici ou là, quelques éclats poétiques (des pieds caressés d'une femme assise au bord de l'eau au vol somptueux de cet oiseau en passant par le regard mi-éclairé mi-désabusé de cette basketteuse prête également à prendre son envol...). Un cinéma déroutant mais jamais lassant (ah oui, ce petit creux au milieu du film quand on perd la flic et la moitié du public, c'est vrai, mais cela reste une belle expérience...) qui nous fait parcourir en planant (et en migrant avec cet oiseau) les diverses plaies subies en divers temps par cette population autochtone. Un voyage étrange et pénétrant ? Plus que jamais : un cinéma plein de vie, de misère et de poésie, ce qui n'est pas rien en ces heures cinématographiques souvent par trop fainéantes.  (Shang - 31/03/24)

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Et gnagnagna, Weerasthakul, c'est nul mais Alonso c'est génial, et blablabla, non mais pour qui Shang me prend-il pour afficher ainsi sa mauvaise foi criante ? Je plaisante, hein, mais je dois dire que Eureka m'a vraiment fait penser au cinéma du bon Thaïlandais, dans son rythme, dans son mystère, dans son goût pour les rêves et pour les ambiances vaporeuses, dans sa méfiance de la trame, dans sa prédilection pour la sensation. Autant dire que j'ai beaucoup apprécié, moi aussi, cette balade hébétée à la lisière du naturalisme et de l'onirisme, retrouvant même ça et là quelque chose de l'ancien Alonso, celui que j'ai aimé tellement (La Libertad, Liverpool). Très étrange emboitement d'histoires disparates, dont on ne voit pas ce qu’elles font ensemble (la thématique de la violence intrinsèque de l’Amérique envers ses autochtones est une bonne piste ouverte par l'ami Shang), mais qui, miraculeusement, parviennent à former un tout cohérent, pour peu que les rêves soient cohérents. Si le premier "sketch" m'est apparu comme un délicieux hors-d’œuvre, destiné à nous faire entrer dans le film par la porte du divertissement, du cinéma de genre, de l'aventure ; si le troisième m'a semblé vraiment plus faible, dans ses poses auteuristes et un brin crâneuses ; j'ai bondi de joie devant le dispositif radical de la deuxième partie, la plus belle assurément. Avouerais-je sans snobisme que c'est le passage mentionné par mon compère comme le plus ardu qui a remporté le plus mon adhésion ? La longueur des plans, leur radicalité, leur lenteur, leur fausse simplicité, éclatent dans ce passage déconnecté de tout repère, où l'esprit du spectateur vrille complètement pour se laisser aller à la stricte observation, sans intellectualisme, sans le prisme de la pensée : le cinéma dans toute sa beauté.

Dans cette non-aventure policière, aussi banale que tragique, on se promène juste au bord d'une possible catastrophe qui ne vient jamais : une dispute entre deux femmes, une voiture qui titube comme privée de chauffeur, un couple de vieux clochards hébétés, et une ballade sur les lieux d'un séisme dans un casino désert, tout montre un pays au bord du chaos. Et Alonso enregistre cette lente propension à la violence, après avoir enregistré celle beaucoup plus sèche et bordélique du western. Bien dommage que la troisième partie fasse perdre une grande part du charme du film. Peut-être par trop de longueur, peut-être parce que l'épiphanie est passée, peut-être par un excès de cérébralité qui arrive là comme un cheveu sur la soupe, cette partie montre un Alonso qui conceptualise à outrance... et on s'ennuie, ce qui n'est jamais le cas dans les 90 minutes qui précèdent. On ressort donc un petit peu agacé, mais on se souvient de cette prodigieuse partie centrale, et on pardonne à Alonso de n'avoir su parfaitement gérer son film du début à la fin. Intéressant, oui oui oui.  (Gols - 13/12/24)

 

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