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28 mars 2023

Mort à Venise (Morte a Venezia) (1971) de Luchino Visconti

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Que c'est triste Venise... Dirk Bogarde, tome 2. Bon, on ne va pas se voiler la face, il s'agit bien là d'un monument. D'un des ces films, même quand on s'endort devant, qu'on trouve forcément très beau quelle que soit la rêverie dans laquelle il nous a plongés... Et pourtant, hein, on pourrait penser que le "sujet" (un vieil homme mâtant un tout jeune) soit automatiquement, dans notre ère suspicieuse, voué aux gémonies... Mais Visconti va bien au-delà de ces "apparences" et évite de toute façon toute scène licencieuse... Un chef d'orchestre, Gustav, sur sa propre musique serait-on tenté de dire, puisque Mahler aurait influencé Mann et que sa musique baigne ce film balnéaire, part se reposer sur cette plage du Lido aussi terne que ce sable gris... On découvrira, au cours de multiples flash-back, quelques-uns des malheurs de sa vie (la mort d'un enfant, une œuvre incomprise, une santé fragile...)... On se demande ce qui, alors, peut encore faire ressusciter le bonhomme... Ce sera, on le sait tous, ce jeune garçon à la chevelure blonde, ce Tadzio au visage et au sourire si doux, qui captera l'attention de notre artiste décati... Il tentera de fuir cette tentation vouée dès le début à l'échec, reviendra malgré tout sur les lieux de cette tentation, comme un ultime coup du destin (à la recherche du Tadzio perdu d'avance) avant d'errer jusqu'à son dernier souffle (de l'amour impossible au temps du choléra). C'était inéluctable, prévisible, mais cette fin pathétique possède malgré tout, grâce à cette mise en scène si subtile, quelque chose de grandiose.

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Visconti aurait été le seul, définitivement, à pouvoir adapter un jour correctement Proust au cinéma. Certains plans, sur cette plage du Lido, font irrémédiablement penser à des scènes d'A l'Ombre des jeunes Filles en Fleurs et il n'est pas étonnant d'apprendre que Visconti travaillait justement alors à une adaptation du gars Marcel. Mais oublions Proust et évoquons cet opéra visuel qui deux heures durant, avec des dialogues réduits à peau de chagrin, nous montre la lente et irrémédiable décrépitude d'un homme qui semble, enfin, pourtant, s'ouvrir aux désirs. Cet homme, dont on découvre la vie morne, dont on apprend la stricte philosophie musicale, arrivé au crépuscule de sa vie, est indéniablement aimanté par ce jeune garçon qu'il découvre à quelques tables de la sienne... Éternel charme et beauté de la jeunesse, éphèbe parfait, sculpture grecque animée, on sent que le Gustav, dès lors qu'il croise le regard de cet enfant tressaille de toute part... Il n'y aura point de contact, juste ces regards tendus entre les deux êtres, juste ces marches-poursuites infinies dans cette Venise aux allures de cité déjà pourrissante. Cet amour (platonique) flirte avec la mort qui règne en ces lieux puisqu'une épidémie décime peu à peu la population... Décrépitude des murs, décrépitude des êtres et décrépitude de ces sentiments, de ce désir qui s'expriment un peu trop dans le vide... Un désir d'absolu, un sursaut pathétique (notre pauvre homme à la recherche de sa jeunesse perdue transformé en clown blanc grotesque), les deux se mêlent dans ce final... couperet.

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Il ne se passe rien ici, enfin, il ne se passe pas grand-chose, mais il se passe tout, aussi. Visconti, dans ces plans sur cet homme maugréant, zyeutant, incapable d'agir, mais vivant pleinement cette dernière "illumination" en son for intérieur, avec cette musique de Malher qui porte le malheur en son sein, nous donne une symphonie grandiose de ce récit minimaliste et total. Il met en scène LE désir, de ceux qui nous permettent de rester en vie, de ceux pour lesquels on est prêt à mourir. C'est des grandes nappes de notes tristes, des grandes nappes cinématographiques où l'on est submergé par l'émotion que ressent cet homme qui marche sur les pas de ce garçon qu'il ne peut atteindre... un amour inaccessible, un art inaccessible, un monde en perdition (on semble vivre également les derniers feux de cette frange privilégiée de la population), on vit avec cet homme tous les tourments d'une vie, tous les tourments d'un ultime sursaut de vie, d'envie tardive... Mais il est justement "trop tard" comme dirait le gars Charles. C'est beau, c'est triste à mourir, on semble toucher du doigt la quintessence de l'art d'un Luchino capable d'illustrer à la perfection sa lecture, sa vision de roman de Mann. Voir Mort à Venise et.

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Commentaires
S
Oui oui, c'est bien pour cela que Visconti a transformé le héros du livre (un écrivain) en chef d'orchestre et qu'il l'a prénommé Gustav... Y'a pas de hasard
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M
Un détail, comme ça, en passant : Thomas Mann écrivit sa nouvelle à trente-sept ans, en 1911-1912, juste après la mort de Gustav Malher.
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